Une vie de conspiration d’un Népalais en Europe

C’est l’histoire de la vie de Sharan Pun

Une vie de conspiration

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Tout le monde dit que l’on peut gagner beaucoup d’argent en partant à l’étranger. Alors, moi aussi je suis parti de Myagdi, mon village, pour Kathmandu avec un crédit 17.800.00 Népali Rupee (équivalent 17 mille Euro)  en poche pour partir à l’étranger. J’ai rencontré un agent qui s’appelait Rishiram Parajuli. Une sœur de Beni m’a introduit auprès de lui. Elle avait aussi introduit d’autres agents dans ce trafic  humain. Il m’a expliqué que cela couterait 17.800.000 rps pour aller en Haïti en partant de l’Inde et que le travail ne serait pas si difficile. « Un mois de salaire s’élèverait à 1100$ » a ajouté l’agent. « Quel sera le travail ?» ai-je demandé. Il m’a répondu que le travail consistait à apporter des secours en Haïti.

En Haïti en passant par le Brésil et Panama

Nous étions cinq personnes dont trois de Myagdi, une de Gorka et moi-même. Et nous avons tous rejoint l’Inde ensemble. Là, nous avons été mis en contact avec un agent, elle s’appelait Angela. Nous sommes restés un mois et demi à Delhi. Puis nous avons obtenu un visa de trois mois pour la République Dominicaine. Après être restés 10 à 15 jours en République Dominicaine nous avons rejoint Haïti. Nous sommes restés 3 mois en Haïti, puis retour en République Dominicaine où nous avons passé les 9 mois suivants. Nous avions transité par le Brésil, le plus grand pays de l’Amérique du sud, après un vol New Delhi-Dubaï. Nous sommes ensuite arrivés à Panama qui se situe dans le Sud de l’Amérique Centrale. Nous avons appris que beaucoup de monde entraient aux USA par le Panama. Notre passeport nous a été confisqué à l’aéroport à Sao Paulo car ils pensaient  que nous pourrions fuir. Nous ne savions pas si c’était une initiative de l’agent ou bien des responsables de l’aéroport.

Nos passeports ont été ensuite remis directement à la police dominicaine par leur hôtesse après notre arrivée en République Dominicaine. Nous n’étions alors que  deux personnes. En fait nous avions un visa de tourisme mais la police nous a demandé un supplément prétextant qu’un visa d’affaire était nécessaire. Mais la police dominicaine est facile à corrompre. En République Dominicaine, on parle espagnol; nous ne pouvions donc pas comprendre. Alors ils ont écrit sur un papier: « si vous nous donnez 10.000$, nous vous laisserons partir ». Nous n’avions pas autan d’argent, à nous deux nous n’avions que 5.000$. Mais même si nous avions eu les 10.000$, ne n’aurions pas voulu leur donner. Comme nous n’acceptions pas de leur verser cette somme, ils nous ont mis en prison. C’était une maison au milieu de la forêt que nous avons rejoint vers 10h du soir. Nous avons pénétré dans une pièce qui était déjà occupée par des noirs qui semblaient très menaçants. Nous avions faim et soif car nous n’avions rien mangé de toute la journée. Mais là encore nous n’avons pas eu à manger. Ils nous ont seulement fourni un matelas et un oreiller et nous avons enfin pu dormir. Avec le téléphone portable qu’un des noirs nous a prêté, mon ami a contacté notre agent. Il l’a informé que nous étions en prison.  Alors que faire maintenant ?? L’agent lui a répondu qu’il connaissait un dominicain capable de nous sortir de là. Mais ce n’étaient que des mots, pas la réalité. On ne pouvait pas faire confiance à cet agent qui pouvait nous tromper à tout moment.

La police nous a ensuite présentés à un juge, et là, nous avons appris que nous serions renvoyés au Népal. En entendant cela nous étions très inquiets. Alors un avocat noir est intervenu nous disant qu’il pourrait nous aider, contre une caution de 1500$. Comme il vivait aux USA il parlait parfaitement anglais. Nous avons malgré tout consulté notre agent pour savoir si nous devions lui donner cet argent ou non. L’agent nous a répondu affirmativement, nous avons donc payé et, nous avons été libérés. On nous a demandé de revenir le surlendemain pour récupérer nos passeports. Nous sommes allés chez l’avocat et le surlendemain, il nous les a lui-même apportés.

Alors que, de la République Dominicaine nous nous dirigions vers Haïti par le bus, nous avons été arrêtés par la police. Les policiers étaient au téléphone, nous ne comprenions rien, mais ils nous ont laissé partir.  Dans le bus, nous avons rencontré une femme Philippine. Nous avons beaucoup parlé avec elle car son anglais était très bon. Impossible de communiquer avec les autres car ils ne parlaient pas anglais. C’est vers huit ou neuf heures du soir que nous avons atteint Haïti. Deux personnes de l’agence sont venues nous chercher à l’arrêt du bus où nous attendions. Ils nous ont emmenés dans une grande salle. Mon beau-frère était là aussi, lui avait déjà été au camp : le camp, c’est une grande salle, où les agents avaient l’habitude de retenir toutes les personnes qui voulaient aller aux USA, leur disant toujours qu’ils pourraient partir le lendemain ou le surlendemain ou encore le jour d’après  et ainsi de suite. Il y avait trois ou quatre autres gars dans la chambre où nous étions. Nous sommes restés ensemble.

Une femme et une maison dans chaque pays

Notre rapport médical a été prêt en quelques jours. Deux agents, Rabi Paudel et Rishiram Parajuli, nous ont fait attendre en promettant de nouveau : demain ou après-demain … tous les deux avaient aussi un logement. Dans chaque pays où ils se livraient à ce trafic de personnes, ils avaient l’habitude de prendre une petite amie et aussi un appartement.

En fait, ils nous ont dit que tant que nous n’accepterions pas de leur donner la somme demandée, il n’y aurait pas de travail. Finalement, nous avons payé. Pour cela nous avions du emprunter au village, au Népal. Mais en fait,  les deux agents sont partis en République Dominicaine avec notre argent. Ils avaient l’habitude de demander à des népalais de venir en Haïti. Nous avons appris que le grand nombre de Népalais présents en Haïti, avait attiré l’attention de la police.  Ils devraient alors être  envoyés aux USA, via le Guatemala. Mais un mois plus tard, ils étaient de retour en Haïti. L’agent avait là une petite amie dominicaine d’origine africaine. Prétextant que le logement était trop exigu, elle est partie. Bien que nous la suspections de vouloir s’évader, nous lui avons quand même confié tous nos bagages.

Un des agents a appelé et nous a dit : «  Je suis en République Dominicaine et je vais vous faire venir ici ». Quatre appartements avaient été loués en Haïti pour recevoir 29 personnes. Un autre agent, lui,  nous a dit : « Moi, je vais vous faire venir au Guatemala pour passer ensuite aux USA ». Les deux agents se présentaient comme étant oncle et neveu. Plus tard il y a eu des conflits entre eux. Deux agents s’occupaient des personnes retenus dans le camp, mais personne ne s’occupait de nous trois. Et l’argent que nous avions est maintenant épuisé.

Dans la forêt de la frontière haïtienne

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Nous avons appelé Rishiram Parajuli. Il nous envoyait régulièrement un peu d’argent pour survivre en Haïti. Nous avons vécu avec lui en République Dominicaine. Alors que 30 à 35 gars sont passés de Cuba vers Haïti avec Paudel pour rejoindre les USA, Rishiram Parajuli nous avait invités à nous rendre en République Dominicaine car il connaissait des noirs qui pourraient nous faire passer aux USA. Le lendemain ils sont effectivement arrivés pour nous emmener en tracteur vers la République Dominicaine. Dans le port d’Haïti, ils nous ont fait monter dans un bateau. Comme c’était la première fois que je prenais le bateau, j’avais très peur. Il nous a seulement fallu cinq à dix minutes, pour traverser le port et rejoindre la République Dominicaine.

Lorsque nous avons débarqué, nous avons remarqué que quelqu’un pointait un pistolet vers nous, c’était un gangster. Ils étaient plusieurs et ils nous ont rejoint à moto. L’un d’eux a posé le pistolet sur ma tempe et nous a demandé de l’argent. Il semblait qu’avec nos agents, ils faisaient tous partie de la même bande. Nous étions entourés d’une quinzaine de personnes : certaines étaient armées des pierres, d’autres des bâtons. Nous avons du marcher avec eux dans la forêt, parfois ils s’arrêtaient, nous réclamaient de l’argent et nous repartions. Après quelques temps un de mes amis a donné 100$ qu’il avait cachés dans une pochette sous son T-shirt. De nouveau nous marchions, nous nous arrêtions, puis l’un d’eux a tiré en l’air, mon ami s’est assis par terre pensant qu’ils allaient nous tuer. Ensuite nous avons été emmenés vers une petite maison. Là, ils nous ont demandé de quitter nos vêtements et ils nous ont fouillés au corps. Quand l’agent noir est arrivé, le groupe qui nous retenait est parti. Ils étaient une quinzaine de personnes, qui travaillaient pour lui. Avec l’agent nous avons de nouveau pris le chemin de la forêt.

Nous sommes arrivés dans une maison en pleine forêt, où nous avons parlé avec un groupe d’haïtiens pour fixer le montant du transfert vers les USA. Mais nous avons compris qu’en fait ils étaient dominicains. Nous n’avions pas de téléphone pour contacter notre agent et de toute façon la carte SIM haïtienne ne fonctionnait pas en République Dominicaine. La bande qui nous avait quittés à l’arrivée de l’agent noir, est revenue. Ils nous ont promis que nous pourrions traverser la frontière le jour même, et cela nous a rassurés. Nous avons commencé à marcher à 5h du matin, mais  nous n’avons quand pas pu atteindre la frontière. Nous avons du rester dans la forêt toute la journée et le soir ils nous ont emmenés chez eux. Dans la maison il y avait des chambres et une cuisine, nous avons été invités à nous reposer un peu et ils nous ont dit que nous repartirions à 1h du matin. Comme nous étions très fatigués nous nous sommes reposés alors qu’ils discutaient à l’extérieur. Finalement nous n’avons repris la route qu’à 10 h du matin. Nous avions tellement peur que nous pensions que si nous rencontrions la police, ils nous arrêteraient à nouveau. Nous devions prendre un véhicule dès que nous aurions rejoint la route. Finalement, arrivés à la route, nous avons aperçu une voiture dont les passagers semblaient être des VIP : Ils étaient noirs, très musclés et portaient  médaille et pistolet. Ils nous ont dit être des officiers de police, ils étaient donc autorisés à porter une arme. Ils nous ont invités à monter dans leur voiture. C’était une jeep. Les autres personnes qui nous avaient demandé 2900$ sont arrivées dans un autre véhicule. Nous leur avons donné le numéro de téléphone de notre agent et de l’avocat que nous connaissions. Ils parlaient en espagnol alors nous ne comprenions pas. En fait, ils planifiaient de nous prendre notre argent et de nous remettre de nouveau à la police. Comment pouvions-nous connaitre ce plan ? Ils nous ont dit que notre agent arrivait et ils nous ont amenés au prochain carrefour et nous ont surveillés en se cachant dans les buissons afin que l’agent ne les voie pas. L’avocat que nous connaissons est une personne très influente là-bas, il a déployé un groupe de police en civil pour capturer ce groupe. A l’instant où la police est arrivée, elle a arrêté tous les noirs et leur a passé les menottes tout en les battant. Ils nous ont laissés sur la route et nous ne savions pas où ils seraient emmenés.

(Ce texte est traduit du livre népalais ‘Dukheko Europe’ (mes souffrances en  Europe) Ce livre relate les histoires de 29 Népalais ayant choisi de venir  vivre dans différents pays d’Europe. Ils racontent leur espoir d’une vie meilleure mais aussi leurs luttes, leurs souffrances,  leurs douleurs dans la dure réalité de leurs expériences.

Le livre, écrit en Népali par Dadi Sapkota qui a interviewé ses  compatriotes, est en cours de traduction par Marie-Faustine en langue française avec l’aide de son ami népalais. D’autres textes suivront. Les images dans ce texte ne sont pas lié à Sharan Pun).

 

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