Un paubha inestimable à Paris

La première représentation artistique d’un événement historique au Népal il y a 500 ans, et son héritage perdu. Et maintenant, on le retrouve au Musée de Paris.

15 juin 2025
Par Shaguni Singh SHAKYA

Ce jour d’hiver de janvier 1664 marqua un événement exceptionnel durant le règne du roi Pratap Malla de Katmandou. C’était le 15ème jour de Paush de l’année 784 du calendrier népalais (Nepal Sambat), et pour la première fois, un événement historique était immortalisé sur toile pour les générations futures.

L’occasion : la grandiose cérémonie de Tuladaan du plus jeune fils du roi, Chakrabartendra Malla, né de son épouse Anantapriya, une princesse indienne originaire de Cooch Behar (dans l’actuel Assam).

Lors de ce rituel, le prince fut pesé contre de l’or, de l’argent, des perles et autres pierres précieuses, qui furent ensuite offerts à la déesse Taleju Bhavani, divinité tutélaire de la dynastie Malla.

Le tableau de 170 x 120 cm capture la splendeur de l’époque du roi Pratap Malla. Il dépasse le simple hommage personnel à son fils et constitue un précieux document historique visuel. Apparemment achevé cinq ans plus tard, en 1669, il peut être considéré comme un véritable enregistrement photographique, reconstituant l’événement à posteriori.

Le Tuladaan est un rituel de purification du karma, destiné à éloigner la malchance ou à faire preuve de charité et de dévotion. Chakrabartendra Malla était malade, et la cérémonie visait à restaurer sa santé. Le roi Pratap Malla avait permis à chacun de ses fils de régner temporairement sur Katmandou pour acquérir de l’expérience politique. Mais Chakrabartendra mourut seulement deux jours après avoir pris le pouvoir, en 1670 (790 NS).

Ce tableau est considéré comme le plus ancien exemple connu où une composition est dominée par un paysage architectural : le temple de Taleju. En raison de ses caractéristiques stylistiques — visages de profil, représentation humaine — il est probable que l’artiste népalais ait été formé par un maître rajput.

À l’époque, les échanges artistiques entre le nord de l’Inde et la vallée de Katmandou étaient fréquents. Cette œuvre fusionne les styles népalais, tibétain, moghol et rajput.

Pratap Malla pourrait avoir été inspiré par une peinture représentant la cérémonie de Tuladaan de l’empereur moghol Jahangir pour son fils Khurram en 1607. Les Malla et les Moghols entretenaient de bonnes relations, ce qui se reflète dans les influences artistiques et vestimentaires de l’époque.

Les vêtements de la noblesse Malla — tuniques colorées, turbans, bijoux — témoignent de fortes influences rajput et mogholes. Les musiciens de l’étage supérieur portent des habits de style indien, tandis que ceux sur les marches inférieures sont vêtus à la manière locale, sans turban. Leurs coiffures diffèrent également : les musiciens locaux portent leurs cheveux attachés en chignon sur le front.

Ce trésor national est actuellement conservé au Collège de France à Paris, mais n’a jamais été exposé publiquement. Des spécialistes de l’art népalais comme Gautam Vajracharya, Pratap Aditya Pal et Anne Vergati ont étudié ce paubha iconique, mais l’analyse la plus approfondie vient de Richard Widdess, chercheur en musicologie à la SOAS (Londres), qui a eu accès à une version en haute résolution.

Widdess considère ce paubha comme le document visuel le plus riche et significatif de la musique dans l’art népalais. Il y identifie plusieurs ensembles musicaux, dont beaucoup existent encore aujourd’hui.

L’un d’eux reflète le modèle du naqqārakhāna moghol — un ensemble extérieur composé de tambours, trompettes et cymbales, joué à l’entrée des palais impériaux. Ce paubha serait la plus ancienne représentation connue d’un naqqārakhāna complet au Népal, ancêtre du panche baja, ensemble traditionnel népalais.

Sur la base pyramidale du temple, on distingue des musiciens newars jouant du dhimey, bhushya et dha. Ils portent des jupes courtes, des hauts à manches courtes, sont pieds nus et sans couvre-chef. Plus haut, près du roi et de sa cour, figurent probablement des musiciens professionnels indiens, versés dans les rāga et tāla.

Un groupe de dāphā bhajan est également clairement représenté. Cette tradition dévotionnelle newar est probablement la plus ancienne survivante, et ce paubha en est la plus ancienne trace visuelle. Pratap Malla aurait lui-même composé des chants encore interprétés aujourd’hui.

L’intérêt personnel du roi pour la musique se reflète dans les détails du tableau. Il se proclamait maître de toutes les disciplines, dont la musique, et écrivait sous le nom de Kavindra (roi des poètes).

Certains éléments techniques novateurs attirent l’attention : par exemple, le toit du temple est peuplé de colombes blanches, rendues de manière réaliste — une rareté dans les paubhas, où les animaux sont généralement stylisés.

L’artiste, inconnu, a également représenté une projection orthographique : une vue de face et de côté du temple Taleju, avec sa structure en étages multiples, une prouesse artistique à une époque où les perspectives dimensionnelles n’étaient pas encore utilisées dans les paubhas dévotionnels.

L’œuvre montre aussi le toran (arche décorative) et les consoles du temple avec une précision impressionnante. Des lampes vacillantes bordent les marches, certains personnages portent des pots d’huile.

C’est une nuit de pleine lune : le ciel sombre est peuplé de dieux et déesses assis sur des nuages stylisés à la manière des thangka, bénissant la cérémonie. L’arrière-plan forestier, avec ses cerfs, arbres et fleurs, évoque un ancien jardin royal derrière le temple ?

Pour obtenir plus de clarté et de détails, il faut pouvoir observer l’original ou une version numérisée en haute résolution. De nombreux pays exposent fièrement leurs œuvres représentant des événements historiques. La France, par exemple, présente Le Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David (1808–1822), et d’autres peintures des guerres napoléoniennes.

Pour le Népal, l’équivalent est ce paubha du Tuladaan — un témoignage visuel d’un moment historique impliquant l’un des plus grands rois de Katmandou, le jour même de l’événement. Hélas, nous attendons encore le jour où ce chef-d’œuvre sera exposé, partagé en haute résolution pour étude, ou mieux encore — rapatrié dans son pays d’origine, là où il appartient vraiment.

Shaguni Singh Sakya est directrice du Museum of Nepali Arts (MoNA) au Kathmandu Guest House à Thamel.

Le retour des dieux

La Nepal Heritage Recovery Campaign et le Département d’archéologie du Népal organisent la première conférence internationale sur la récupération du patrimoine culturel, du 16 au 18 juin à Patan.

La conférence abordera les questions urgentes du vol, du trafic illicite, des campagnes de rapatriement des artefacts culturels, et explorera comment le retour des antiquités sacrées contribue à la justice, à la guérison et à la réconciliation des communautés et nations touchées par la perte patrimoniale.

La professeure américaine Erin L. Thompson et Saubhagya Pradhananga du Département d’archéologie prononceront les discours principaux. L’auteur et éditeur de Nepali Times, Kunda Dixit, animera une discussion sur Le Trafic illicite : opinion publique et rôle des médias, avec Erin Thompson, Amr Al Azm (professeur associé à l’université Shawnee aux États-Unis) et Bradley J. Gordon, avocat basé à Phnom Penh.

Parmi les thèmes abordés : les perspectives de rapatriement au Cambodge, en Inde, au Vietnam, en Chine et en Pologne, les cadres juridiques internationaux, les nouvelles technologies dans le rapatriement, les accords culturels, les musées, le marché de l’art et la diplomatie patrimoniale.

À noter aussi : James K. Reap, professeur à l’université de Géorgie, parlera de la réponse des États-Unis au trafic illicite ; l’historienne de l’art Lea Saint-Raymond traitera de Dieux aux enchères : le marché des artefacts himalayens ; la criminologue Emiline Smith (Université de Glasgow) explorera de nouvelles approches sur la propriété du patrimoine.

Helena Arose (Antiquities Coalition), Melina Antoniadis (NOSTOS Strategies) et Hao Liu (droit du patrimoine culturel international, Université de Shandong) seront également présents.

(Cet article est traduit par Dadi Sapkota et le texte français est corrigé par Chantal Domage Martinez. Traduit du texte original en anglais du Nepali Times. Pour le texte original en anglais, cliquez ici)

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