“Est-ce qu’on met l’hélicoptère à la poubelle ?”
Voici un extrait d’un livre «Tyo Népal» (Le Népal à l’époque) écrit par Dadi Sapkota. Ce livre contient (présente) le témoignage de personnalités françaises, parle de leur implication et de leur contribution au Népal. Certains s’étant engagés depuis 1952! Le livre sera publié prochainement en langue française.
Le premier témoignage que je vous propose est celui du colonel français Pierre le Floch, ancien pilote personnel du roi Birendra du Népal. Merci à Sylviane Delapierre d’avoir effectué les dernières corrections du texte.
“À la période de Dasaïn, (Dashain) il faut faire la Puja pour tout ce qui roule. Vélo, voiture, Rickshaw. À cette époque là, nous n’avions plus d’hélicoptère, parce qu’on en avait crashé un. Nous devions en recevoir un nouveau, mais il n’arrivait pas. Un beau jour, un avion venait d’arriver de France, avec un hélicoptère en pièces, à monter. Donc j’ai dit aux mécaniciens népalais que nous allions monter l’hélicoptère et faire un test de vol avant de pouvoir l’utiliser.
L’hélicoptère a été monté, nous avons fait le test, et quand je suis allé dire aux népalais que nous pouvions voler, ils m’ont répondu : « Non, vous ne pouvez pas voler aujourd’hui ! ». Je n’y comprenais plus rien, ils me cassaient les pieds tous les jours pour savoir quand il allait pouvoir voler, et quand il est enfin prêt, on me dit « Non, vous ne pouvez pas voler aujourd’hui ! ».
Un jeune pilote que j’avais formé est venu m’expliquer qu’au Népal il y avait des jours auspicieux, et d’autres moins bons. Donc, ils attendaient le bon jour pour pouvoir voler. Nous avons attendu quinze jours, et ils m’ont enfin convoqué pour le lendemain à cinq heures du matin. Avant de voler nous avons fait la puja avec le prêtre, il a fait plusieurs fois le tour de l’hélicoptère avec la chèvre, la présentation des offrandes avec le riz, etc., et ensuite nous pouvions enfin voler.
Quand nous avons reçu l’hélicoptère fabriqué en Inde, personne ne voulait faire le test de vol, donc ils m’ont demandé de le faire. Rebelote, on attend le jour propice, cinq heures du matin, le prêtre, la puja. Mais, la puja s’est mal déroulée en coupant la tête de l’animal ! Alors j’ai demandé : « Qu’est-ce qu’on fait, de l’hélicoptère maintenant, est-ce qu’on le met à la poubelle ? ». Nous avons refait une autre puja qui s’est bien déroulée, et j’ai alors demandé : « Qui vient avec moi pour le test ? ». Personne ! Aucun népalais ne voulait venir. Donc j’ai pris le mécanicien français, nous avons fait le test de vol, et tout allait bien.
Le lendemain il fallait se rendre quelque part en hélicoptère. Il y avait l’hélicoptère numéro seize et le numéro dix-sept. L’hélicoptère indien c’était le dix-sept. Personne ne voulait monter dedans, tous les népalais voulaient prendre le numéro seize parce que la puja avait été bonne. Je l’ai pris il n’y a pas eu de problème, mais par la suite, j’ai remarqué que chaque fois que je prenais l’hélicoptère, c’était toujours le numéro dix-sept qui m’était attribué, les pilotes ne voulaient pas le prendre !
Les traditions religieuses étaient très ancrées dans la vie. On faisait des pujas aussi bien pour le vélo que pour le Boeing 727, quand on arrive au Népal, on est un peu surpris.
Dans l’aviation népalaise, il y a des histoires extraordinaires. Quand quelqu’un meurt dans une famille, pendant un moment, les membres de la famille ne peuvent pas traverser les rivières. Un jour, il y avait un pilote népalais qui s’appelé Thapa, qui avait fait des études en Angleterre et en Inde, sa mère venait de mourir.
Pendant quelques jours nous ne l’avons pas vu, ça me semblait tout à fait normal, et puis au bout d’un moment j’ai demandé pourquoi on ne voyait pas Tejendra Thapa. On m’a dit que sa mère était morte et que pendant un certain temps il ne pouvait pas traverser les rivières, même au-dessus en hélicoptère ou en avion. Alors évidemment, au Népal, des rivières il y en a partout, on ne peut pas décoller de Kathmandu sans traverser une rivière.
Evidemment, nous comprenions bien et respections toutes ces croyances, mais on était en train de développer quelque chose de moderne dans leur pays, et on ne pouvait pas indéfiniment obéir à la religion, pendant huit ou quinze jours d’accord pour marquer le deuil, mais après il fallait avancer avec le monde.”