Alpinisme : Marc Batard, les éternels défis du fils de Sagarmatha
Par Tiana Salles
© Pascal Tournaire.
A 66 ans Marc Batard se prépare à repartir à la conquête de l’Everest. Celui qui a grimpé sur le toit du monde en moins de 24 heures et sans oxygène quand il avait 36 ans a décidé d’y retourner y fêter ses 70 ans en 2022. Un défi hors norme à l’image de sa vie et de ses capacités sportives spectaculaires qui lui avaient valu le surnom de “sprinter de l’Everest”. Pourtant, au-delà des exploits sportifs, le guide de haute montagne, peintre, écrivain, est avant tout un homme sensible et complexe, en quête de lui-même, dont les projets et combats sont autant d’ascensions à réussir.
Un physique toujours athlétique, malgré une silhouette affûtée, à 67 ans, Marc Batard semble n’avoir jamais quitté ses chaussures de montagne. Premier et seul alpiniste à avoir fait l’ascension de l’Everest en moins de 24h sans oxygène, le 26 septembre 1988, il semble toujours perché entre ciel et terre. Au titre de « sprinter » délivré par les médias, il préfère celui « fils de l’Everest » ou plutôt « fils du Sagarmatha », le nom népalais du toit du monde. L’Everest étant un « signe de la violence coloniale, qui a imposé un nom sur une montagne qui en avait déjà un ». Celui, dont le record n’a jamais été égalé, ne tient pas particulièrement à être considéré comme un compétiteur. Certes, il reconnaît que cet exploit lui assure une notoriété qui lui permet, encore aujourd’hui, de se garantir des revenus, mais il précise que sa passion pour la montagne n’a rien à voir avec celle d’un compétiteur en quête de records. Pourtant, son « carnet de sommets » donne autant le vertige que la hauteur cumulée des cimes. Le mont Blanc, l’Aconcagua, le K2, le Kilimanjaro, aucun sommet ne semble résister aux crampons de ce prodige.
Malgré tout, il se défend d’avoir voulu battre un record : « Si j’ai fait ça, ce n’était pas pour faire un record pour un record ». Tout a commencé en réalité, en 1986, avec Sundare Sherpa « un des meilleurs sherpas de l’époque » avec qui Marc Batard semble avoir créé un lien de complicité particulier. Tous les deux ont alors réussi la première ascension hivernale d’un 8000 mètres : le Dhaulagiri. L’alpiniste souhaitait la faire en un jour, le sherpa prévoyait « comme d’habitude » trois jours. Finalement, le duo l’a réalisée en deux jours. Le Français se sent alors à l’aise et se dit : « Si je peux faire le Dhaulagiri en un jour, je peux faire l’Everest aussi ». Performance symbolique, Marc Batard n’est en réalité en compétition qu’avec lui-même, avec la montagne et peut-être avec la vie. Après une enfance difficile faite de complexes physiques et d’un nom sujet aux moqueries, ses capacités hors norme lui ont permis de partir à l’assaut de la montagne. « Enfant en difficulté, je vivais alors un grand mal-être ; la montagne m’a permis de libérer mon flux nerveux et physique. Ça aurait pu être une drogue… Moi la montagne m’a sauvé la vie, et m’a permis de faire ce parcours » confie-t-il avec une émotion encore palpable. Plusieurs fois, il a flirté avec la mort, comme aux Drus dans les Alpes, où il est resté coincé plusieurs jours. Il reconnaît que la montagne aurait pu le tuer.
70 ans sur le toit du monde
Marc Batard a arrêté la montagne il y a 18 ans. Mais en 2022, il remontera en haut de l’Everest pour y fêter son 70e anniversaire. D’un projet personnel, ce défi s’est transformé en aventure collective humaine et écologique étalée sur 6 ans. « Refaire l’Everest à 70 ans, me permet de reprendre un projet d’école qui n’a pas pu se concrétiser». Ce n’est pas donc pas seulement une ascension qu’il va faire, mais six. Après la Falaise de Gerbier en 2017, il s’apprête à gravir l’Aconcagua (6992m) cette année, l’Annapurna ( 8 040m) en 2019, le Cho Oyu (8201m) en 2020, le Makalu (8463m) en 2021 et enfin l’Everest (8848m) apothéose du projet en 2022. Une aventure qu’ils partageront à trois. Pasang Nuru Sherpa et Muhamad Ali seront de la partie.
Soutenu notamment par ses amis dont Emmanuel Petit, champion du monde de football en 1998 et Frederic Thiriez, ex-président de la ligue de football professionnelle, le but final est de récolter assez d’argent pour créer une école. Une formation aux métiers de la montagne. « Le mont Blanc, comme l’Aconcagua et d’autres montagnes sur la planète, ça devient des boîtes à fric, prises en main par des agences qui font du business avec ça ». Lui veut utiliser cette montagne à des fins positives, persuadé qu’elle n’est pas dangereuse, pourvu qu’on la respecte et que l’on sache renoncer. Là est l’un des enjeux principaux du métier d’alpiniste. Un long apprentissage de ses années de haute-montagne et qu’il garde comme philosophie de vie : « C’est pareil pour l’Everest en 2022, qu’on ait fait le sommet ou pas, ce sera une réussite. » Pour lui, là est la beauté du renoncement. Renoncer peut être une réussite. ». Mieux que quiconque, l’homme aux multiples records sait à quel point il faut parfois savoir revenir en arrière et que ce n’est pas un échec. La pression il la connaît, il l’a subie. Mais en montagne, c’est une question de vie ou de mort. « Il faut savoir renoncer à la montagne, renoncer à la pression économique par sécurité. La profession ne l’a encore pas compris », regrette-t-il. Ce combat est presque politique. Pour Marc Batard, c’est une remise en cause de la société de consommation qui encourage à gagner toujours plus alors que de temps en temps, il faut apprendre à gagner moins, même lorsque l’on a une famille. Ce combat pour l’apprentissage du renoncement, l’alpiniste souhaite le transmettre à travers l’école qu’il veut construire.
Un projet qu’il appréhende de manière internationale : une école gérée par les 15 pays ayant des sommets de plus de 6000 mètres. « Nous les Occidentaux, on se considère comme les meilleurs professionnels au monde sur les 7000 et les 8000, mais on n’a aucune montagne qui dépasse les 5000 mètres !» ironise-t-il.
Ce ne sera pas une école en compétition avec celles qui existent déjà et dont il reconnaît la qualité.
L’alpiniste reconnait la qualité de beaucoup d’écoles. Lui souhaite un établissement délivrant un diplôme bien spécifique de guide de très haute montagne, ne sélectionnant pas de manière élitiste sur le niveau technique : « On ferait bien de baisser un peu le niveau technique et de prendre en considération l’esprit d’équipe, de motivation et de transmission. ».
En attendant de pouvoir, dans l’idéal, faire l’inauguration de cet établissement d’un nouveau genre en 2022, le programme de cette ascension d’anniversaire sera donc « classique » : 15 jours d’acclimatation et une montée en 2 jours depuis le camp de base.
Des défis encore plus personnels à surmonter
Au-delà de ses activités de guide, de sa passion de toujours pour la peinture, de ses combats contre la faim dans le monde, la paix et le mal-logement, Marc Batard est aujourd’hui un écrivain. Par les lignes qu’il écrit, c’est à une autre montagne qu’il s’attaque : l’homophobie. Celui qui s’est longtemps ignoré a découvert et assumé son homosexualité après un long chemin de compréhension et d’acceptation. Dans son livre La sortie des cimes, il en raconte avec pudeur les étapes. Le but premier de cette nouvelle aventure sur l’Everest était d’ailleurs d’emmener celui qui est aujourd’hui son mari sur ce toit du monde qu’il aime tant. Finalement, ils ne monteront pas ensemble, mais cet homme torturé semble s’être enfin apaisé, peut-être alors la plus belle et la plus importante ascension de sa vie.
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