Jang Bahadur : le premier voyageur népalais en Occident
- Kalpana GHIMIRE NOURISSON
( Jang Bahadur : le premier voyageur népalais en Occident, avec référence particulière à son séjour en France. )
Les grands voyageurs occidentaux, arabes ou chinois, furent considérés de véritables héros et honorés comme tels par leurs compatriotes. Ces premiers n’ont pas seulement grandement contribué aux patrimoines de leurs civilisations respectives mais ont parfois changé le cours même de l’histoire du monde. Or, ce n’est pas le cas dans le monde hindou. Historiquement, les voyages n’étaient pas entreprises aisées pour les ressortissants du sous-continent indien car la traversée des « eaux noires», à savoir l’océan, était considérée comme une souillure dans le système des castes et pour cette raison, hérétique. Ainsi, nonobstant les périls physiques d’un grand voyage en mer vers l’Europe, en lui-même un supplice pour des népalais, du point de vue religieux également il a fallu attendre milieu du dix-neuvième siècle et un potentat assez puissant et fougueux pour enfreindre tous les tabous de caste et entreprendre un premier voyage en Occident.
Demandez à un népalais de votre connaissance le nom du premier voyageur népalais en Occident et vous aurez de très bonnes chances d’obtenir la correcte réponse: Maharaja Jang Bahadur Rana (ou Jang Bahadur Kunwar, 1816-1877), une des figures les plus importantes de l’histoire népalaise, le souverain virtuel du pays de 1850 à 1877 et fondateur de la dynastie oligarchique Rana, les vrai maîtres du Népal durant 104 ans
Bien qu’issu d’une noble famille illustre, en raison de la déchéance de son oncle maternel le grand premier-ministre et régent Bhimsen Thapa, Jang Bahadur dut commencer sa carrière en tant que simple capitaine d’artillerie de l’armée en 1840. Il progressa dans les grades et faveurs royales grâce aux assassinats et aux intrigues. En 1850, il avait déjà pris le pouvoir en éliminant tous ses principaux rivaux, installé son propre candidat sur le trône, nommé ses frères et alliés à tous les postes importants, et assuré que les grandes décisions administratives seraient arrêtées par lui-même en tant que Premier ministre. À ce stade, il était curieux de juger de ses propres yeux si les ‘Angrej’ c’est à dire les Anglais, maitres de l’Inde étaient aussi puissants sur leur propre terrain qu’ils ne prétendaient. Ainsi à l’âge de 34 ans, il a pris l’initiative sans précédent de voyager en Grande-Bretagne et la France, au départ de Calcutta à bord d’un bateau spécialement affrété P & O Haddington en avril 1850 avec son cortège de 32 personnes dont 2 frères et rentra à Katmandou, en Février 1851.
A cette époque, le gouvernement britannique était très intéressé par le Népal car il essayait par des moyens diplomatiques d’établir des Etats-tampons entre leur domaine- l’Inde et la Russie- l’enfant terrible de la politique internationale.
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[1] J’ai reproduit ici l’orthographe classique de son non à la manière anglaise. Une translitération française plus près du vocable népalais serait ‘Djangue Bahadour’- littéralement en ourdou :‘Valeureux dans le combat’, prénom approprié et très évocateur du personnage
Jang Bahadur, homme politiquement puissant, mais encore jeune et déjà le souverain virtuel de son pays était un personnage à ‘soigner’. C’était un choix de diplomatie habile et gage pour l’avenir que de gagner son respect, sa confiance et sa reconnaissance. Une invitation officielle de la part du gouvernement britannique fut présentée au Premier Ministre népalais à visiter l’Angleterre en tant qu’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du roi de son pays.
Ce voyage extraordinaire est heureusement bien documenté par plusieurs témoignages. L’un d’eux fut écrit par le capitaine Cavenagh de l’armée du Bengale, attaché à la suite de Jang Bahadur, en tant que traducteur. Le deuxième a été rédigé par Jang Bahadur lui-même, qui a tenu un carnet de séjour quasi quotidien de son voyage. Le troisième, un livre fascinant ‘Jang Bahadurko Belait-Yatra’ écrit en népalais par l’un des membres de l’entourage du Premier ministre népalais, ne fut publié qu’en 1957. Traduit en anglais en 1983 par John Whelpton comme «Jang Bahadur en Europe», il est disponible aux lecteurs anglophones. En outre, un compte-rendu très détaillé est fourni par l’écrivain M. Purushottam Shamsher Jang Bahadur Rana, un des descendants du Maharaja, dans son livre «Sri Tinharouko Tathya Britanta» basé sur un manuscrit anonyme contemporain dans les possessions de la famille de l’écrivain qui retrace la vie de Jang Bahadur, de son enfance à sa mort. ( photo 2 : Sabre de Napoléon I au musée Chhauni de Katmandou)
Jang Bahadur séjourna près de trois mois en Grande-Bretagne au cours desquels il fut fêté comme la coqueluche de la ville de Londres. La noblesse ainsi que les officiels rivalisèrent pour connaître ce «Lion» flambeur et flamboyant de la Saison. Le dignitaire népalais n’était pas le premier visiteur de marque originaire du sous-continent indien. En 1831, Raja Ram Mohan Rao, un noble bengali avait déjà visité l’Angleterre afin d’intervenir en faveur des souverains moghols de Delhi. Mais Jang Bahadur, était le souverain virtuel et l’ambassadeur d’un pays indépendant. En tant que tel il demanda et reçut les honneurs et les égards dus à son rang. Ainsi, il fut invité et accueilli à plusieurs reprises par la reine Victoria dans des cérémonies officielles et privées. Il fut également reçu par d’autres personnages célèbres tel le prince consort Albert, le Premier ministre lord John Russell et le duc de Wellington ( vainqueur de Napoléon à Waterloo). Manifestement, le gouvernement britannique a tout mis en œuvre pour mettre ce jeune hôte de marque de leur côté dans la lutte qui battait son plein dans la politique asiatique.
Mis à part les mondanités, Jang Bahadur fit également des visites guidées des fabriques de canons, des chantiers navals et des usines. Il fut très impressionné par la puissance militaire britannique. Durant sa visite, Jang Bahadur a également savouré les délices culturels de Londres et de Paris. Il a assisté aux opéras, et montra une étonnante capacité d’adaptation face aux ‘paparazzis’ londoniens.
Dans cet article, nous laisserons de côté le séjour, très bien documenté, de Jang Bahadur en Angleterre pour évoquer plus en détail son séjour moins connu en France.
Dès son départ de Calcutta, Jang Bahadur avait prévu de visiter la France au terme de son séjour anglais. Par conséquent, à la fin du séjour anglais accompli en grande pompe et splendeur, l’ambassadeur français à Londres fit savoir à son gouvernement que l’ambassadeur du Népal, « dont le costume somptueux » attirait la curiosité du public britannique depuis trois derniers mois, arriverait à Paris le 22 août.
En effet Jang Bahadur avait très fière allure. Tout dans son comportement était étudié pour frapper l’imagination non seulement de ses interlocuteurs mais aussi du public général occidental. Après tout, il importait qu’à travers lui, la curiosité envers son pays soit éveillée. Voici une description que le général comte de Castellane fit des habits de Jang Bahadur « Le Prince Jang est remonté en voiture pour s’en retourner… les curieux n’ont pas manqué. Il est littéralement couvert de pierreries : sa toque était couverte de perles et de diamants, surmontée d’un oiseau de paradis ; il avait d’énormes boucles d’oreilles avec des perles et des rubis, un collier en perles et diamants, un sabre magnifique ; sa tunique était aussi ornée de diamants ».
Jang Bahadur et ses frères en compagnie du Prince-Président Napoleon III et sa suite à Paris croquis de l’époque
SEJOUR FRANÇAIS : CHRONIQUES, FAITS MARQUANTS et POTINS
le 21 août 1850, la suite de Jang Bahadur s’embarqua pour la France et accosta le sol français où c’est à bord d’un train qu’ils arrivèrent le lendemain à la gare St. Lazare à Paris et se dirigèrent vers l’Hôtel Sinet où ils furent logés en tant qu’hôtes du gouvernement français.
le 24 août, le prince Joseph Bonaparte, le cousin du Prince-Président Louis Napoléon, plus tard sacré Empereur Napoléon III, accompagna le Premier ministre à sa première découverte de la capitale
Le 27 août, la visite de l’Ambassadeur de Turquie et du Général CAVAGNAC, Commandant en Chef de l’Armée française.
(Prince-Président Louis Napoléon, futur Empereur Napoléon III portrait daté 1852)
Le vendredi 30 août : une garde d’honneur escorta la mission népalaise au palais présidentiel, où il fut reçu par le Prince-Président Louis Napoléon qui le conduisit dans la salle d’audience où attendaient environ 350 membres ou des députés de la République, et dont les principaux furent présentés au Maharaja. Ce dernier, à son tour, introduisit les membres de son escorte au Prince-Président. Puis vint le tour des discours d’accueil. Le Prince Napoléon remarqua que tout ce que l’on savait en France du Népal était qu’il s’agissait d’une nation guerrière des régions himalayennes, voisine des Anglais aux Indes. Les Français avaient maintenant l’occasion d’acquérir une connaissance directe du Népal quand ils n’en avaient eu jusqu’ici qu’une vague conception. Il ajouta qu’il lui était particulièrement agréable de recevoir une personnalité qui représentait tout ce qu’il y avait de grand et de bon dans ce pays. Le potentat népalais répondit qu’il était particulièrement honoré de faire connaissance et d’entretenir avec le premier personnage du glorieux pays, la France et parent de l’illustre Napoléon.
An Unusal Request UNE REQUETE INHABITUELLE
Après l’échange habituel de compliments, le prince Napoléon voulut savoir ce qu’il pouvait faire pour rendre le séjour de Son Excellence à Paris plus agréable, et proposa d’organiser un bal en son honneur. Jang Bahadur lui répondit qu’ayant beaucoup vu et beaucoup apprécié ce beau pays, et il ne désirerait rien plus que passer en revue un grand rassemblement de 100.000 soldats de l’armée française. Le président a promis de satisfaire ses désirs mais fut confus par une telle demande car dans l’état agité de la politique française qui avait suivi la flambée révolutionnaire de 1848, une si vaste concentration de troupes dans la capitale pouvait être mal interprétée comme une provocation politique. Malgré cela, il répondit qu’en raison du système de casernes militaires éparpillées dans toute la France, il ne pouvait aussitôt satisfaire ce vœu mais que cela serait fait au retour du prince népalais de Cherbourg.
La revue militaire sollicitée par Jang Bahadur eut lieu le 24 septembre quand le dignitaire népalais accompagné par le président Napoléon se rendirent dans la plaine de Satory, près de Versailles. La manifestation fut un grand succès après quoi, le ministre et le Prince-Président chevauchèrent côte à côte jusqu’à Versailles où une réunion publique fut organisée pour faire les adieux officiels à l’invité de marque.
Après un long discours sur le Népal, la France et la Grande-Bretagne, le Prince-Président a remis au Maharaja un médaillon et le grand sabre de commandement de Napoléon I. Jang Bahadur le portait encore à son retour à Katmandou et il peut encore être admiré dans le musée de Chhauni à Katmandou. Le Premier ministre à son tour, présenta son portrait au Président qui promit de le garder dans sa chambre en mémoire du grand prince.
Le 1er septembre, Jang Bahadur visita le mausolée de Napoléon I à l’Hôtel des Invalides où il déposa une gerbe et signa le livre d’or. Egalement ce jour, il rendit visite à Jérôme Bonaparte, frère de Napoléon I qui lui montra de nombreuses reliques de son illustre frère.
Vendredi, le 20 septembre, Jang Bahadur effectua une visite à Versailles où il fut reçu avec toute la splendeur. Là, déclare l’Illustration, « le château déploya pour l’envoyé du Népal toute ses fééries. Depuis le célèbre Ambassadeur du Roi de Siam, aucun prince n’avait été conduit à Versailles dans un aussi grand appareil. Tout avait été mis en œuvre, sauf les cascades qui faisaient relâche pour cause de réparation ». Le même jour, la délégation visita aussi St. Cloud.
Le 23 septembre, visite du musée Louvre conduit par le directeur et le secrétaire du musée.
BAVURE ET BRAVOURE GOURKHA
(Le jardin aussi appelé le bal Mabille, haut-lieu de divertissement des riches parisiens)
Le 25 septembre, le Prince népalais, ses frères et quelques dignitaires népalais décidèrent de se divertir en s’entrainant au stand de tir du jardin Mabille2. Une jeune et jolie française demanda à la délégation la permission de participer à ces tirs. Jang Bahadur l’encouragea en lui remettant son propre pistolet. La jeune fille, très nerveuse avec un pistolet chargé, eut un geste malencontreux qui envoyât une balle dans la cuisse de Dhir Shumsher, le frère de Jang. Consternation et agitation parmi les accompagnateurs français ! Jang Bahadur a calmé leur émoi et a ordonné à son frère (en népali bien sûr !)- ‘Mon petit ! Voici une excellente occasion pour faire montre de la bravoure Gourkha ! Tu marcheras sans rictus et sans chanceler !’ La balle fut extraite plus tard à l’hôtel Sinet. La presse parisienne en fit une ‘exclusivité’ bien sûr !
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(2 Le Jardin ou le Bal Mabille situé sur l’actuelle avenue Montaigne, entre les n°s 49 à 53 d’aujourd’hui. Jardin enchanté, illuminé avec 3 000 becs de gaz. Rendez-vous des lionnes, le jardin fut très en vogue à l’époque et réservé, en raison du prix d’entrée élevé, à des personnes assez aisées. C’est ici qu’au son de l’orchestre de B. Pilodo, le danseur Chicard inventa le French cancan. Le Jardin Mabille fut frappé par deux obus lors du siège de Paris en 1870 et fut démoli en 1882.)
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Décidemment, il ne fallait manquer une telle occasion pour faire parler de la bravoure Gourkha !
L’étape suivante conduisait la délégation en direction de Marseille. Avec une journée d’arrêt à Lyon, le 4 octobre, le Premier ministre et sa suite furent au port de Marseille où le navire anglais «Le Growler » était en attente de les conduire à Alexandrie sur la route de l’Inde et le Népal. Ainsi se termina le séjour long de 43 jours du Maharaja népalais en France.
Il faudra attendre la première guerre mondiale pour revoir des Népalais sur le sol de France avec les fameux régiments Gourkhas qui combattirent aux côtés des allies.
RENCONTRES FEMININES:
Jang Bahadur était un homme très sensible au charme et à la beauté des femmes en général et ainsi des européennes également. Lors de sa rencontre avec la reine Victoria, éblouie, il l’avait comparée à la déesse Laxmi, déesse de la beauté et prospérité. Invité à une rencontre, le 10 juin, avec des femmes actives anglaises à Londres, à une question concernant ses sentiments sur des femmes occidentales, il avait répondu qu’il les trouvait indépendantes, douces et affirmées. Questionné sur leur qualité qui l’impressionnait le plus, il amusa et fit grand plaisir à ses interlocutrices en répondant – « Je vous félicite, Mesdames ! Vous savez exercer une emprise absolue sur vos hommes tout en commandant leur respect et leur grand dévouement ! J’ai compris que vos hommes ne sont rien sans vous ». Au cours de son périple, le montagnard galant3 (et loin des yeux de ses femmes ! ) n’a pas voulu résister aux rencontres amoureuses avec des beautés européennes. Ainsi, il se lia avec deux des plus grandes courtisanes de l’époque, toutes les deux, curieusement, des irlandaises d’origine.
En Angleterre, le déjà deux fois marié Jang Bahadur fut totalement épris de Laura Bell, une beauté irlandaise de vingt et un ans. Tout ce qu’elle voulait en matière de vêtements, bijoux, bibelot et même hôtel particulier ont été portés à ses pieds. Durant le peu de temps où Laura fut sa maîtresse, Jang lui aurait remis la somme astronomique d’un quart de million de livres (d’époque) ! L’India Office, informé de cette dépense extraordinaire, lui remboursa ce montant plus tard. Sans doute, l’autorité britannique estimait cet argent bien dépensé dans la perspective du maintien de la bonne entente des relations anglo-népalaises4.
(photo 6 : La jeune Reine Victoria au moment se sa rencontre avec Jang Bahadur)
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à femmes’. Les historiens lui imputent un total d’entre 17 et 25 épouses mariées, chiffre qui exclue, bien sûr, les innombrables concubines.
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L’engouement de Jang pour Laura fut tel qu’il envisagea de rester un an de plus à Londres en tant qu’ambassadeur du Népal. Ses frères et la suite ont dû le supplier durant 11 jours pour le convaincre de revenir sur sa décision et de rentrer au Népal. Nul doute que l’histoire népalaise aurait pris tout autre tournant si Jang avait effectivement continué son séjour en Angleterre ! Heureusement, à Paris il renoua connaissance avec une autre beauté irlandaise, Eliza Rosanna Gilbert, comtesse de Landsfeld mieux connue sous son nom de scène de Lola Montez, célèbre comme danseuse espagnole, et maîtresse du roi Ludwig I de Bavière. Elle s’était réfugiée à Paris pour fuir le scandale qu’elle avait provoqué en Allemagne. Selon les journaux parisiens de l’époque, Jang Bahadur et Lola Montes, tous les deux, affirmaient avoir fait connaissance à Calcutta, en Inde. Lola qui parlait le Hindoustani, la langue indienne de l’époque équivalent à l’ourdou actuel, l’a beaucoup escorté à Paris, l’accompagna dans ses visites de la capitale française. Il lui acheta des cadeaux coûteux. Lola était une aventurière et une femme très rusée, mais Jang Bahadur fut assez intelligent pour rester à l’écart de toutes ses influences politiques. Sans doute ce flirt sans conséquence a aidé à guérir le cœur affligé de Jang Bahadur pour Laura Bell.
CHANTS ET DANSES EUROPEENS
Jang Bahadur savoura largement les délices de la musique occidentale. L’opéra fut difficile à apprécier pour les délégués népalais qui trouvaient les voix des chanteurs, stridentes. C’est la musique et surtout les ballets qui ont ravi les cœurs des envoyés népalais. Lors d’une représentation de ballet, la reine Victoria surprise de voir Jang se balancer avec la musique, lui demanda s’il comprenait la musique occidentale. Jang répondit : « Je ne comprends pas le chant du rossignol non plus mais cela ne m’empêche pas de l’apprécier ! » La reine Victoria dira plus tard qu’elle fut impressionnée par le soldat poète.
(Fanny alias Francesca Cerrito dans le ballet ‘Les violons du Diable”)
A Paris, le 17 septembre, Jang Bahadur assista au ballet “Le Violon du Diable”, où il fut frappé par la grâce et la danse de Fanny Cerrito, une danseuse prima donna italienne. Enthousiasmé par la présentation de la ballerine brillante, à l’issue du spectacle, il alla la retrouver et lui fit don d’un magnifique bracelet serti de diamants qu’il portait et qu’elle accepta avec de multiples révérences gracieuses. “La beauté et la performance de l’artiste ont fait une grande impression dans le cœur du guerrier “ – ont rapporté les chroniqueurs français.
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Jang Bahadur, plus tard, à la tête de 15 000 soldats népalais, personnellement assista les Anglais à réprimer la Révolte des Cipayes en Inde en 1857.
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(The Nepaulese Polka’ et Jang Bahadur sur la couverture du magazine londonien ‘Illustrated London news’)
Par ailleurs, le monde musical occidental, non plus, n’est pas resté insensible à la personnalité brillante de Jang Bahadur comme le prouve cette ‘polka népalaise’ (‘The Nepalulese Polka’) d’un air vif et joyeux composée par l’ autrichien Johann Strauss fils, célèbre compositeur de la valse ‘Le beau Danube bleu’. Les notes de la polka ainsi que l’image du voyageur ont constitué la couverture et le gros titre de la revue anglaise bien connue de l’époque– ‘ the Illustrated London News’.
HABITUDES ALIMENTAIRES CURIEUSES
À l’Hôtel Sinet où la délégation népalaise logeait, une salle spéciale a été aménagée au rez de chaussée pour servir de cuisine pour les voyageurs où nul Européen n’était autorisé à entrer. Jamais Jang Bahadur ou son entourage n’ont partagé de repas avec leurs hôtes européens, voire même dans les banquets et les dîners que lui-même avait donnés. Durant les soirées, c’est seulement lorsque les convives occidentaux avaient fini de manger que, les Népalais allaient tranquillement manger des fruits dans un espace spécialement aménagé. Cette habitude alimentaire très particulière attira évidemment la curiosité et fit discourir les chroniqueurs. Mais du point de vue de Népalais, un tel comportement était certes parfaitement logique.
Aujourd’hui, la plupart des touristes au Népal se soucient de la propreté de leur eau et nourriture, comprise en des termes biomédicaux. Ironiquement, ils seraient surpris de savoir que de nombreux Népalais, historiquement et encore maintenant, sont également préoccupés de la ‘contamination’ par les aliments et l’eau, mais compris en termes de la logique de caste. Jang Bahadur avait des cuisiniers hindous brahmanes pour préparer les repas et avait même amené avec lui 40 grands tonneaux d’eau du Gange pour servir d’eau potable et à des fins de purification durant le séjour ! Mais l’observateur européen de son temps ne saurait connaître ou comprendre ces tabous et fut ahuri par ce rejet de la cuisine occidentale en particulier française, si vantée.
CONCLUSION: L’IMPORTANCE ET LES CONSEQUENCES DE LA VISITE :
Le voyage de Jang Bahadur a servi de premier face-à-face des dirigeants des deux supers puissances mondiales de l’époque et d’un potentat de l’Asie méridionale dans une ambiance totalement européenne. L’empreinte laissée par l’Occident sur Jang Bahadur a eu des répercussions profondes au Népal en matière de politique sociale, étrangère et des évolutions culturelles. Ainsi, l’année 1854 a vu l’introduction de quelques éléments européens inspirés par le Code Napoléonien dans le système juridique népalais avec la réforme de l’Ain Mulki, le Code civil du royaume. En politique étrangère, la visite fit connaître le Népal ainsi que son statut d’état indépendant. Jang avait fait la rencontre des dirigeants occidentaux mais il avait surtout frappé l’imagination du public en Europe qui entendait pour la première fois le nom du Népal. La politique amicale népalaise envers la Grande-Bretagne, conséquence directe du voyage fut de grand soutien pour les Britanniques au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier pendant la révolte des Cipayes en Inde quand Jang Bahadur est allé , en personne, au commande de 10 bataillons de soldats népalais pour aider les Anglais et au début du XXe siècle avec l’envoi de 140 000 jeunes népalis pour combattre aux côtés des alliés durant la première guerre mondiale.
C’est dans le paysage culturel népalais que l’impact du voyage fut le plus ressenti avec l’introduction de la mode5 vestimentaire, de l’ameublement, de l’architecture européenne ainsi que l’art des portraits et les concepts urbanistiques de la ville. En d’autres termes, ce voyage a constitué une date importante dans le processus global de l’occidentalisation culturelle du Népal, un processus qui se poursuit à ce jour.
Malheureusement, ce grand voyage n’inspira point à Jang Bahadur ni la modernisation du Népal ni même des réformes politiques ou économiques. Bien au contraire, cette rencontre est-ouest semble avoir convaincu les personnalités népalaises que le Népalais commun devait rester totalement replié sur lui-même, coupé du monde, isolé du progrès du monde moderne, ceci à fin de sauvegarder le pouvoir et l’hégémonie de ses élites dirigeantes.
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Mes sources :
Sources françaises : Il n’existe malheureusement que peu de documents français sur la visite de Jang Bahadur. Mes sources françaises ont été des documents suivants :
• Discours prononcé au Rotary Club à Katmandou par M. Jean Français, premier ambassadeur français résident à Katmandou, accrédité le 24 avril 1967 (sur le site de l’Ambassade de France au Népal)
• Références dans ‘Le Népal’ de Sylvain Lévi, Tome II
• Références dans les archives diplomatiques de Nantes, section Calcutta
• Revues ‘l’Illustration’ de l’époque
Sources anglaises:
• Laurence Oliphant : A Journey To Kathmandu With The Camp Of Jung Bahadur in 1851
• Captain Orfeur Cavenagh, Rough Notes on the State of Nepal
Sources népalaises, mes principales et de loin les plus détaillées sources