Sherpas, ces héros à l’ombre de l’Everest

● Jeremy

Au coeur de l’Himalaya, à la frontière entre le Népal et le Tibet, à près de 8848 m d’altitude se hisse la demeure des Dieux : l’Everest. C’est dans cette région de très haute montagne, avant d’être des figures emblématiques et incontournables de l’alpinisme himalayen, que ce peuple népalais d’origine tibétaine trouve ses racines. Sharsignifiant « Est » et Pa le « peuple », le mot Sherpa désigne avant tout un peuple venu de l’Est. Au début du XVIème siècle, des invasions mongoles mêlées à des problèmes socio-politiques et religieux dans le pays, ont amené le peuple Sherpa à s’exiler. Ils quittèrent la région du Kham à l’Est du Tibet pour franchir l’Himalaya et accéder aux régions de l’ouest népalais : le Lamjura La et le Nagpa La.

Drapeaux prières Everest – source : Terbeck / Flickr CC

Si de nombreuses familles se sont éparpillées dans diverses régions à flanc de montagnes ou plus au sud, les plus grandes communautés Sherpas se sont surtout installées dans le Khumbu, au pied de l’Everest et vivaient entre 2 600m et 4 4400m d’altitude. La situation géographique et les difficultés climatiques rendant les terres peu cultivables, au XIXème siècle, une partie de ces Sherpas installés au Khumbu migrèrent plus au sud dans la vallée de Phokara et de Katmandu, la capitale népalaise.  C’est à cette même période que les britanniques ont désigné l’Everest comme étant le plus haut sommet de la planète. La chaîne de l’Himalaya s’étend sur plus de 2 400km de long et abrite les plus hautes montagnes du mondes, aussi appelées « les demeures des Dieux » par le peuple sherpa, avec pas moins de 14 sommets de plus 8 000m d’altitude.

Everest vu du ciel – source : NASA / Flickr CC

Après plusieurs tentatives échouées dans les années 1920, c’est finalement en 1953 que l’Everest est gravi pour la première fois. Au sommet, on retrouve alors Tenzing Norgay Sherpa (Népal) et Sir Edmund Hillary (NZ). Tenzing Norgay est alors le premier homme à arriver en haut et dominer l’ensemble de la chaîne de l’Himalaya. Cette grande première ouvrira, par la suite, la porte au tourisme en permettant l’organisation d’expéditions pour gravir le toit du monde. Cette perspective permet alors de diversifier les métiers des Sherpas, jusqu’alors essentiellement agriculteurs, commerçants et éleveurs. L’arrivée de groupes pour partir en expédition dans la montagne a permis à ces familles d’ouvrir souvent une partie de leur logement pour le proposer comme hébergement aux alpinistes venant dans la région. Lorsque le mari part en montagne, c’est la femme (Sherpani) qui s’occupe de la gestion de la maison et des hôtes. De plus en plus d’Hommes se sont mis à pratiquer la montagne pour rapporter un revenu à leur famille. Ils ont développé des compétences, des forces et une résistance au manque d’oxygène à haute altitude qui en font aujourd’hui les vrais héros de l’Himalaya. Chaque Sherpa souhaitant devenir guide doit suivre un programme d’entraînement d’une durée de 28 jours avant de pouvoir accompagner des groupes sur les sentiers. Compagnons de cordées désormais incontournables des expéditions sur l’Everest et les sommets voisins, les Sherpas grimpent, portent, mettent en place les campements, cuisinent et s’assurent de la sécurité du groupe lors des ascensions et des descentes de sommets. La conquête des sommets n’a pourtant jamais été une préoccupation pour ce peuple avant l’arrivée des occidentaux.

Glacier autour du camp de base de l’Everest – source : Terbeck / Flickr CC

Tenzing Norgay, Sir Edmund Hillary, source-wikipedia

C’est en 1949, que le gouvernement népalais a autorisé l’ascension des sommets de l’Himalaya. Depuis, les touristes n’ont jamais cessé d’affluer. Le tourisme ayant cru très fortement au cours des dernières décennies dans la région, les sherpas ont vu pousser des hotels, auberges et autres magasins dédiés à la pratique de l’alpinisme dans leur région. Avec la démocratisation de la Haute Montagne et les facilités apportées par les tours opérateurs pour permettre aux touristes de venir découvrir le Khumbu et gravir les montagnes, les conditions de vie des sherpas se sont considérablement détériorées. Les Sherpas partant en montagne courraient 12 fois plus de risques de mourir qu’un déployé militaire dans les forces armées américaines en Irak au moment des affrontements les plus virulants dans le pays entre 2003 et 2007.

Un Sherpa se désaltère sur les pentes de l’Everest – Source : Terbeck / Flickr CC

Le nombre de trekkeurs croisés sur les sentiers a triplé au cours des vingt dernières années. Rien qu’en 2013, 658 personnes ont atteint le sommet de l’Everest. Pour répondre à cette forte croissance, les guides Sherpas doivent travailler plus, et donc partir sur plus d’expéditions. Les premières blessures voire même décès dûs au surmenage pour les sherpas ont même commencé à apparaître. Quand le camp de base est encore endormi, les guides sherpas se lèvent et transportent l’oxygène, la nourriture, les vivres et le matériel pour préparer l’ascension au camp se situant au dessus. Ils sont en charge d’installer les échelles et les cordes, installer le campement, la cuisine, les toilettes… avant que les alpinistes n’arrivent. Ils répètent l’opération à chaque camp, le temps que les alpinistes s’acclimatent.

Sherpa transportant les marchandises d’un camp à un autre – Source : Terbeck / Flickr CC

En avril 2014, l’Everest a connu l’avalanche la plus meurtrière de son histoire, enlevant la vie à 16 sherpas qui installaient les échelles pour le lancement de la saison d’alpinisme sur les pentes du toit du monde. Les guides sherpas militent activement pour une amélioration de leur conditions d’exercice de leur métier et une meilleure reconnaissance. Ils ont d’ailleurs décidé de ne pas lancer la saison d’alpinisme 2014 pour l’Everest. Les tours opérateurs ont tenté de faire changer d’avis les sherpas suite à la pression imposée par les clients qui avaient déjà engagés des frais (parfois jusqu’à plus de 60 000$) pour gravir l’Everest. Les sherpas ont refusé, souhaitant voir leurs conditions de travail s’améliorer et ont donc fermé l’accès à l’Everest pour la saison 2014.

Les sherpas ont une situation très précaire puisqu’ils n’ont pas de salaires fixes, ni de vacances ou de pension. Les assurances qui les couvrent varient selon les opérateurs qui les embauchent et surtout leur métier et donc la sécurité de leur famille n’est assuré que s’ils sont en forme et à même de transporter du matériel d’un camp à un autre. S’ils sont défaillants, ils ne peuvent plus exercer mais n’ont aucune sécurité de la part du gouvernement le temps d’une éventuelle reconversion par exemple. Le gouvernement couvre 10 000$ en cas de décès ou jusqu’à 5 000$ de dépenses médicales en cas de blessures, ce qui paraît très peu compte tenu des revenus générés par l’Everest et reversé directement au gouvernement. Le gouvernement touche chaque année environ 3 millions de dollars des frais de permis pour gravir l’Everest.

amp de base de l’Everest – source : kartlasarn / Flickr CC

En 2012, une couche de glace de près de 275m à recouvert une partie de l’Everest, cette zone extrêmement dangereuse était suspendue juste au dessus du sentier principal de l’ascension.  Les sherpas prenaient alors des risques considérables faisant plusieurs fois des allers / retours sous cette zone pour installer des camps. Il fallait compter environ 45 minutes pour traverser, comme le cite Russel Brice, directeur de l’une des plus grosse agence d’expédition sur l’Everest, qui a décidé de rappeler tous ses guides et clients en mai 2012 face aux risques d’une trop longue exposition dans cette zone. Dans un communiqué publié sur le site le 9 mai 2012, il explique ses raisons et publie un état de la couche de glace. Les températures pas assez froides font grandir des crevasses et il y voit des risques d’éboulement de séracs.  L’avalanche meurtrière d’avril 2014 sur le flanc ouest de l’Everest est dû à un éboulement de séracs emportant 16 sherpas qui transportaient des matériaux entre le camp de base et le camp 1 et 2.

Les tentes des Sherpas emportés par l’avalanche au camp de base de l’Everest – source : Terbeck / Flickr CC

L’une des parties les plus exposées pour les Sherpas sur les voies de l’Everest est la traversée de la chute de glace de Khumbu (Khumbu Icefall). Ce que proposent certains sherpas, leaders ou dirigeants de tours opérateurs locaux serait de transport une partie de l’équipement entre le camp de base et le C1 par hélicoptère, cela réduirait une partie des revenus des Sherpas mais agrandirait grandement leur sécurité, puisqu’ils n’auraient pas à transporter le matériel. Le coût de transport en hélicoptère serait seulement 50% plus élevé que de l’acheminer par des hommes.

Avec le réchauffement climatique, certains glaciers sont fragilisés et sont devenus instables ce qui rend la chute de glace plus dangereuse que la normale. A la suite de l’avalanche et après plusieurs réunions entre sherpas et leaders, une liste de demandes aux gouvernements a été dressée, demandant notamment un meilleur dédommagement de la part des assurance en cas de blessures ou décès d’un guide Sherpa, cette liste marque le premier pas vers une meilleure reconnaissance de la profession par le gouvernement.

Alpinisite sur les chemins de l’Everest – source : Terbeck / Flickr CC

Enfin, en plus de ce problème d’insécurité sur l’Everest, la pollution est un autre fléau au dessus du camp de base. Tentes, lunettes de soleil, bouteilles d’oxygènes, bières… L’Everest devient une décharge d’alpinistes peu scrupuleux. Depuis mars 2014, le gouvernement impose à chaque alpiniste allant au dessus du camp de base, d’évidemment redescendre ses déchets, mais également de redescendre 8kg de poubelles laissées par des prédecesseurs sur les flanc de l’Everest. Si cette règle n’est pas respectée, l’alpiniste se verra infliger une amende. Cette loi n’aura pas été effective cette année compte tenu de la fermeture de la saison suite à l’avalanche, mais nulle doute qu’elle sera reconduite pour les prochaines expéditions.

Alpiniste sur un lac gelé dans la région de Khumbu, Népal – source : Terbeck / Flickr CC

A noter que le gouvernement a décidé de réduire les frais de permis pour avoir l’autorisation de gravir l’Everest afin d’attirer plus de monde, passant ainsi d’un coût de 18 000$ à 8 000$ par permis. Avec cette baisse du coût, l’Everest devrait vraisemblablement connaître un nouveau record d’affluence en 2015, il ne reste plus qu’à espérer que la condition des Sherpas soit améliorer d’ici là, mais également que le gouvernement prendra les mesures nécessaires afin de dépolluer l’Everest.

Source de cette article- http://captainyvon.fr/

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