Intervention au vernissage de l’exposition sur le Népal à Grenoble

Intervention de Dadi Sapkota (journaliste/écrivain Népalais)

au vernissage de l’exposition de Loan Kim N’guyen

à Grenoble le 23 juin 2015 

Dadi : 

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La mousson a commencé au Népal le 15 juin. Ça a juste commencé là maintenant. Dans une ou deux semaines ça va commencer beaucoup plus, donc ça va causer beaucoup d’inondations, de glissements de terrain. Dans beaucoup de collines ça va glisser. Comme je suis allé presque partout, dans tous les districts, j’ai pris beaucoup de photos et j’ai vu beaucoup de terrain déchirés, donc ça va tomber.

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Quand vous avez fait tout ce parcours c’est un très grand problème qui va arriver, le gouvernement fait tout ce qu’il peut mais nous, on n’était pas préparés pour les évacuations et les secours. Comme on a un peu près 400.000 militaires et policiers, ça suffit pas parce que 11 districts sont beaucoup touchés. Il y a encore des districts où les cadavres sont ensevelis sous les maisons. Le chiffre que je donnais tout à l’heure (8600 morts) en fait on ne sait pas, le gouvernement n’a pas encore cherché partout donc ça va beaucoup augmenter.

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Par exemple je suis allé à JekhiDanda dans le district de Chitwan, j’ai rencontré un homme, il m’a dit, ça c’est la maison de mon fils, mais je ne sais pas où il est. J’ai rencontré plein de gens comme ça. Au Népal, il n’y a pas d’obligation d’avoir une carte nationale d’identité. Il y en a beaucoup qui n’ont pas ça donc dans le village même si vous n’avez pas la carte d’identité, vous connaissez la situation alors ça marche. Nous, on sait pas exactement combien de personnes ont été touchées, combien de personnes sont mortes.

Loan

– C’est sûr qu’on aura pas les chiffres officiels avant 6 mois ou un an.

Dadi

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Moi j’étais le 1er dans un village de Sindulpalchow. Il y avait 250 personnes. Mais on avait préparé pour 60, j’étais très étonné, l’aide humanitaire n’était pas là encore.

Je suis allé à Gadi, c’était pas là encore, je suis allé dans un village qui s’appelle Dalitbasti dans le district de  Nuwakot, c’était pareil parce que c’est un village avec 20 maisons. Ils ne voulaient pas descendre parce que tout le monde était trop triste, il y avait des enfants qui étaient morts, ils n’avaient pas dormi et tout. Tout ce qu’ils avaient était dans la maison qui était cassée.

Spectateur

– Les tentes, les Népalais sont-ils à l’abri ?

Dadi

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Les tentes pour une semaine ou 2, c’était une bonne idée peut-être, mais là maintenant si on continue toujours avec les tentes, c’est pas une bonne idée parce que, moi j’ai toujours encouragé les gens à construire leur propre maison.

vous voyez, parce que il fallait donner des clous, des marteaux etc, mais une maison est cassée, vous pouvez toujours utiliser des matériaux avec lesquels vous pouvez reconstruire petit à petit. Moi, je disais toujours, nous on donne pas des tentes ou des choses comme ça. Il ne faut pas donner ça parce que ça crée une dépendance.

Spectateur 

C’est de l’auto construction les maisons ?

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Dadi 

Ils font eux-mêmes

Loan

Ils prennent avec des matériaux qui sont dans la nature, n’est-ce pas Dadi ?

Dadi

Nous, on a donné tout ce qu’il faut pour construire une maison.

Spectateur 

C’est à dire ?

Dadi

Tous les matériaux, on a donné ça.

Loan

– Les matériaux, tu veux dire les clous, les marteaux, les fils de fer ?

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Dadi

– Oui

Loan 

L’idée, c’est de responsabiliser les villageois.

Dadi

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C’est le VDC (Village District Communauty), le bureau du village qui donnait gratuitement aux victimes, vous voyez. Vous faites une lettre et ils donnent la permission pour amener de la forêt. maintenant ce n’est pas la peine de donner, parce que très souvent c’est mal utilisé. Par exemple, 70% des tentes sont mal utilisées. Parfois il y a des gens qui en ont pris 7 ou 8 fois et qui les ont revendues au marché (noir?) 

Spectateur 

Si les constructions sont mal mises en oeuvre, il peut y avoir d’autres séismes dans le futur qui vont endommager encore ? 

Dadi 

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Oui, mais parfois les gens ont beaucoup d’aide internationale donc ils ont acheté des tentes, ils ont essayé de construire des petites maisons à l’extérieur loin du village mais c’est difficile aussi, parce que les Népalais ils ont une culture très très différente vous voyez. Pourquoi ? Parce qu’ils sont très très attachés à un village qui sont des petites communautés, donc ils ne peuvent pas aller trop loin parce qu’ils sont très attachés.

Moi par exemple, je suis né à Chitwan, je n’ai pas passé ma vie dans mon village mais ça me touche beaucoup si un jour on dit, bon on va tout vendre et on va partir dans un autre village. Ça me touche beaucoup, je peux pas faire ça. C’est pareil avec presque tous les Népalais. Il y a les communautés, les différentes cultures, différentes langues tout ça. Donc abandonner ce village où vous êtes né, c’est trop difficile.

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Nous avons repéré 3, 4 maisons où il y avait trop de risques à rester là parce que je savais que ça allait glisser. Ils nous ont dit : « attendez une semaine on va vous répondre » . Après une semaine, ils m’ont téléphoné et m’ont dit : « on ne va pas bouger ». Ça on peut rien faire. Il y a beaucoup d’aide internationale, mais ils proposent comme ils veulent, mais ça marche pas comme ça. 

Loan

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Dadi me disait en fait que les ONG sont arrivées en masse, juste après le séisme, et elles ont agi à titre individuel sans forcément communiquer entre elles et sans forcément se coordonner, donc est arrivé ceci, certains villages ont reçu 2 fois l’aide humanitaire et il y a d’autres villages où les habitants n’ont toujours rien reçu. Donc c’est aussi un peu ce problème là.

Dadi

J’ai vu aussi comme la Croix Rouge ils ont donné des instructions aux Népalais. Si il y a un tremblement de terre, vous vous cachez sous votre lit, donc des enfants qui étaient à l’extérieur, ils sont rentrés à l’intérieur ils se sont cachés sous le lit et ils sont morts. Dans un village, 7 enfants sont morts comme ça. C’est ça, c’est de la mauvaise éducation. C’est à dire qu’ils savent très bien qu’il y aura un tremblement de terre, quelle année ils ne savaient pas bien sûr, donc ils donnaient des consignes, comment se préparer pour survivre, il faut sortir etc, etc, l’éducation sur le tremblement de terre. Donc, ils ont dit, si il y a un tremblement de terre, vous vous cachez …sous le lit.

Loan

Sous le lit 

Dadi 

Donc, il y avait des enfants à l’extérieur qui sont entrés dans la maison. 

Spectateur

Alors qu’ils étaient bien dehors.

Dadi

Voilà, ils étaient bien quand ils étaient dehors. Je n’ai pas pu envoyer des vidéos que j’ai aussi. On peut dire aussi que beaucoup d’ONG comme la Croix Rouge, ils restaient dans des hôtels de 4 ou 5 étoiles, ils travaillaient comme en France, 6h, 7h, petit-déjeuner à 8h, après à midi le repas et le soir ils rentraient vers 18h donc vous voyez . J’avais des amis aussi qui travaillaient pour la Croix Rouge qui étaient comme ça. Mais j’ai rencontré des Français, en petits groupes : des étudiants, des petites associations, qui ont très bien travaillé au Népal. Ils sont allés dans des villages très reculés, pendant 12 ou 13 heures, sans arrêt, sans manger, ils y a des gens comme ça aussi. Ce n’est pas avec des grandes associations qu’ils font. Désolés mais s’il y a quelqu’un parmi vous qui travaille pour des grandes associations humanitaires. 

Spectateur 

Qu’est-ce qu’ils faisaient ceux qui travaillaient bien ?

Dadi

Ils aidaient les gens, ils essayaient d’enlever des débris, ils amenaient des vêtements, de la nourriture, vous voyez ?

Loan

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En fait, ce que veut dire Dadi, c’est que quand on est dans une situation d’urgence comme cela, lui il a été avec des équipes locales au plus proche de toutes les victimes, ils ont été dans toutes les régions qui ont été touchées Gorka, Sindupalchoc. Il avait un rythme de travail effréné en fait, il dormait 3 heures par nuit, parce que l’aide d’urgence elle est vitale, si on ne vient pas aider et bien les villageois meurent de leurs blessures, de soif, de faim. En fait ce que tu veux dire Dadi, c’est l’incohérence dans la façon dont ont été menées parfois certaines opérations par les ONG. On peut difficilement faire 35 heures par semaine dans le cadre d’une situation d’urgence comme celle d’un séïsme qui a frappé des millions de personnes.

Dadi

D’un autre côté, pour nous aussi c’est difficile, parce que après le tremblement de terre, c’était très très difficile, parce que tous les magasins étaient fermés. La première nuit, non, la deuxième nuit quand j’étais à Katmandou, j’ai trouvé difficilement un petit restaurant. Par exemple, je voulais me servir du téléphone. Avant le tremblement de terre, vous pouviez acheter partout une carte Sim, mais là pendant 2 jours je n’ai pas pu en acheter, tout était fermé donc je pouvais juste demander à quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui pouvait ouvrir juste pour moi. Donc, c’est difficile.

Pour la coordination aussi c’est difficile. Quand vous êtes étranger, vous arrivez à Katmandou, vous ne parlez pas la langue, vous ne connaissez pas la culture, les gens sont tristes, c’est difficile pour vous aussi, je comprends bien. Mais moi, comme j’étais un écrivain, un journaliste, il y avait beaucoup de monde qui me connaissait très bien, donc pour moi c’était beaucoup plus facile. Je ne pouvais pas me comparer avec les autres vous voyez. Mais les très grandes associations, je ne suis pas très impressionné.

Spectateur 

On sait exactement quelles sont les ONG qui ont apporté leur aide ?

Dadi

Très bonne question : il y a beaucoup de pays qui ont déclaré beaucoup d’aide, 10 milliards, 5 milliards, etc, parmi ces déclarations, même pas 50% ont fait quelque chose au Népal. Il y a beaucoup de pays comme Israël qui a proposé de reconstruire un village, le Japon, la Chine, la grande-Bretagne.

Loan 

Moi j’ai lu dans la presse qu’il y avait 35 ONG

Spectateur 

Et maintenant, il y a une meilleure coordination autour de l’urgence ?

Dadi

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La plupart des associations ont travaillé à peu près 2 semaines ou 3 semaines. maintenant, elles sont reparties. Donc il y a très peu d’associations qui travaillent maintenant. Ça montre aussi un effort du gouvernement Népalais. vous voyez la politique comment ça se passe. Partout c’est un peu pareil, mais au Népal c’est spécial donc ils sont très engagés à Katmandou. Ils sont un peu actifs mais ils sont très limités c’est à dire. Le gouvernement n’a pas de moyen.

Il veut aider partout mais il n’a pas de moyen. Ça manque de export. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous avons 400 000 hommes dans l’armée et la police. Quand il y a un besoin en urgence, j’ai vu que c’était très bien.

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A Gorka, un village qui s’appelle Devitar était complètement détruit, je n’ai pas vu une seule maison qui était en bon état. Comment vous pensez que le gouvernement qui essaie de faire, ça c’est trop difficile. En plus, il y a moins de transport, la route était bloquée, vous voyez la maison était tombée, il n’y avait personne pour enlever les débris. Dans chaque famille il y avait des morts, alors qui allait ramasser les débris ?

Mais là maintenant les gens ont commencé à trouver une solution quand même. Construire une petite maison pour juste quelques mois, ou un an. Mais le problème c’est que là maintenant à Katmandou, ils n’ont pas encore ramassé tous les débris, donc il faut ramasser plus aux alentours des ministères etc.. des écoles partout sinon ça reste sur place. Il y a beaucoup de raisons. Pour ramasser une grand bâtiment de quatre étage maison ça coute à peu près 35.000€ . Donc la plupart des gens ont emprunté de l’argent auprès de la banque. Mais vous déposez où les débris, il n’y a pas de place à Katmandou, donc il faut les ramener au moins à 50 ou 60 km ça va coûter beaucoup alors ça reste comme ça.

Loan

Est-ce qu’il y a d’autres questions ? 

Spectateur

Moi, je voulais savoir en ce qui concerne la nourriture, comme il y a beaucoup de villages reculés, comme c’est la récolte, je voudrais savoir comment ça se passe, est-ce qu’ils vont avoir assez à manger pour la période de la mousson ? 

Dadi

Je n’ai pas bien compris, qu’est-ce que vous dites ? 

Spectateur 

Il y a beaucoup de villages reculés qui ont perdu toutes leurs récoltes, leur bétail, est-ce qu’ils vont avoir suffisamment à manger pour la période de la mousson ?

Dadi

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Tout le bétail et la nourriture, ils n’ont pas beaucoup perdu c’est à peu près correct parce que l’agriculture n’a pas été beaucoup affectée vous voyez. Et le bétail pas beaucoup non plus, parce que ils n’ ont pas construit des grand bâtiment avec du ciment et des briques, pas pour le bétail qui n’est donc pas beaucoup touché.

Loan

Dans les rapports de l’association avec laquelle nous travaillons, Dadi rapportait qu’il leur restait suffisamment de récolte de la saison dernière, notamment pour le maïs par exemple.

Dadi 

Au Népal par exemple, il y a une communauté qui s’appelle, Chepang, ils sont très spéciaux, Quand je suis allé à l’Est du Terraï, pour donner la nourriture, dans une famille il y avait 5 personnes, dans d’autres familles, il y en avait 7, 8, 9, 10 etc.. Alors nous on avait compté un sac de riz pour une famille, ben c’est pas bien, parfois dans une famille il y a 3 personnes, l’autre il y en a 7, c’est pas correct de donner un sac ? Après, j’ai su que pour les Chepang ce n’est pas un problème parce que si vous mangez du riz pendant 3 jours et après c’est fini, alors les autres ils partagent. Tout ce qu’il y a dans un village, alors ils partagent. Une communauté très spéciale, donc nous on a donné un sac chacun et voilà, après ils partagent. Et dans les villages quand il y a des problèmes, ils font ça très souvent. Ils s’aident les uns les autres.

Loan 

– Il y a un élan de solidarité

Dadi 

Il y a une très grande solidarité parmi les villageois. Parmi les communautés. Là maintenant en plus vous savez on n’a pas de constitution, il y avait une bataille de plusieurs partis politiques. Dans le parti communiste, il y avait 17 partis, donc presque chaque communauté était divisée et à cause du tremblement de terre, ils ont oublié tout ça. C’est quelque chose de bien à voir après le séïsme .

Il y en a beaucoup qui on reçu l’aide plusieurs fois, alors que dans des villages très reculés, ils n’ont rien eu du tout.

Spectateur  

Est-ce que vous avez été mis en contact avec une association de Bodhanath qui s’appelle KARUNA ? Association de Mathieu Ricard

Dadi

– Non, je ne connais pas 

Loan

– Mais des associations vous savez au Népal il y en a énormément.

Dadi

– Oh, il y en a beaucoup, à Katmandou, il y a 36000 associations, 36.000

Loan

– Elles n’ont pas toutes aussi la même vocation.

Dadi

– Et il y a 70 associations françaises qui travaillent au Népal.

A mon avis il y a beaucoup de terrains que l’on peut utiliser. Mais il faut examiner le sol et encourager les gens pour leur dire ce qu’ils doivent planter, ce qu’ils doivent cultiver, Avec des amis, je viens d’examiner le sol, alors il faut leur donner de l’éducation pour savoir comment cultiver dans les collines. Il ne faut pas toujours donner de la nourriture, des couvertures des vêtements etc,etc .. parce qu’après, ils vont développer l’habitude d’attendre de l’aide, et ils ne feront rien. Donc j’ai vu aussi certains, dans des villages, j’ai vu des gens qui descendaient dans la ville, pour attendre toute la journée pour avoir de la nourriture.

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Donc il ne faut pas faire ça. Ah oui, aussi les femmes. J’ai pensé aussi avant comme les autres hommes que les femmes sont moins efficaces, c’est pas ça ! Cette fois j’ai vu que les femmes étaient moins déprimées,

qu’elles étaient beaucoup plus efficaces, et très très fortes. Parce que moi j’ai vu sauf une ou deux femmes, je n’en ai pas vu qui étaient en train de pleurer.

Les hommes étaient en train de pleurer, ils étaient perdus, parfois ils avaient abandonné leur maison, leur village etc.. les femmes étaient toujours au fond pour demander de l’aide, s’occuper du bétail, s’occuper des enfants, chercher dans le village. Chercher, comment ça s’appelle, dans la forêt, pour trouver des choses à manger. Des pommes de terre, des légumes.

Les femmes étaient très efficaces, très fortes. Quand j’ai vu ça dans 2 villages, j’ai demandé toujours : « les femmes vous venez, vous faites un petit comité, c’est pas bien compliqué, après vous faites, vous prenez tout ce qu’on vous donne, après vous gérez le matériel » Elles étaient très très efficaces.

(Le film transcrit par Marie-Faustine)

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