TÉLÉVISION: ERIC VALLI ET LE FILM DE L’IMPOSSIBLE
Une caravane de 150 mules à 5.200 mètres d’altitude, des villages coupés du monde… “Népal, par-delà les nuages” raconte la reconstruction du pays après le séisme de 2015. A voir le 3 janvier sur France 5.
La caravane de mules marche à 5.100 mètres d’altitude vers le col de Larkya La, au Népal. Elle suit un ancien chemin, utilisé il y a une trentaine d’années. © Eric Valli.
“Je dormais à poings fermés. C’était le milieu de la nuit. Mon téléphone s’est mis à sonner et j’ai entendu la voix de ma fille. ‘C’est arrivé, c’est arrivé!’ ‘Mais quoi?’ ai-je demandé. ‘Le tremblement de terre.’” Eric Valli, photographe et réalisateur, a vécu vingt-cinq ans au Népal, ce pays situé à l’intersection des plaques tectoniques indienne et eurasienne où il avait notamment tourné, en 1999, “Himalaya, l’enfance d’un chef”.
Alors quand, le 25 avril 2015, un séisme de magnitude 7,8 se produit, il n’est pas étonné par la nouvelle. “On savait qu’il y aurait une grande catastrophe”, affirme-t-il. C’est sa fille Camille, 24 ans, qui l’a prévenu. Elle habite Katmandou. Le cataclysme est gigantesque. L’épicentre est localisé à environ 80 kilomètres au nord-ouest de la capitale. L’Everest, le plus haut sommet du monde, se déplace de 3 centimètres.
“Je devais y aller”, dit Eric Valli. Mais pour faire quoi? Les premiers secours s’organisent. Les ONG entament un long ballet aérien pour délivrer bâches, outils, eau, nourriture. Les médias étrangers arrivent. Eric Valli le sait: une fois l’agitation du direct terminée, tout le monde repartira et oubliera, alors que la reconstruction durera plusieurs années. “Tu connais la langue et le pays, viens raconter ce qui se passe dans les zones où personne ne va”, lui lance sa fille. Dans ces régions où, après le séisme, les chemins de ravitaillement sont coupés, les habitations détruites; où l’aide humanitaire met le plus de temps à arriver.
Les prises de vues auront duré plus de cinq mois et demi, étalés sur deux ans, dans des conditions parfois extrêmes.
© Eric Valli.
Fin mai 2015, le documentariste arrive donc à Katmandou, alors que la réplique la plus puissante – elles peuvent survenir pendant plusieurs mois – a porté le nombre total de victimes à près de 9.000. Après avoir pris quelques renseignements sur place, il décide de se rendre dans la vallée de Nubri, située à plus de 4.000 mètres d’altitude, derrière le Manaslu, le huitième sommet le plus haut de la planète. Dans ce territoire frontalier avec le Tibet, les ponts ont été démolis, et les villages sont coupés du monde à cause des glissements de terrain et des avalanches. Les hélicoptères approvisionnent encore la population, mais le temps est compté. La mousson arrive. Il ne reste qu’un mois pour reconstruire avant les pluies.
“Je n’avais pas le temps de préparer mon sujet, de chercher des financements, de faire des repérages, d’écrire un script… C’était l’improvisation totale. Je n’avais jamais travaillé comme ça. Quelque 12.000 personnes étaient coincées dans la vallée. Qu’allait-il advenir d’elles? C’est cette histoire que j’ai voulu raconter.” Eric Valli avance à l’aveugle, à tâtons. Le tournage se fait au fur et à mesure de la progression dans la vallée.
Pour ravitailler les hautes vallées, les convois affrontent tempêtes de neige, froid, fatigue…
© Eric Valli.
Le réalisateur, qui a monté son équipe sur place, passe plusieurs semaines sur le chemin de Nubri. Il rencontre des habitants. “On dit que les peuples des montagnes sont résilients. Je n’avais pas vraiment d’idée sur ce que j’allais filmer, mais je voulais saisir cette solidarité, ce courage.”
Peu à peu, les routes s’ouvrent. Un ancien sentier, situé à plus de 5.200 mètres d’altitude et utilisé jadis pour commercer avec le Tibet, est remis en état. L’équipe s’y engage, avec un convoi de 150 mules chargées de tonnes de vivres. Parmi les mule- tiers, Raj et Shiva, deux garçons de 14 ans originaires de la localité sinistrée de Thanti, dans l’ouest du pays. “Ces deux gosses n’avaient jamais dépassé les frontières de leur village. Et les voilà à plusieurs jours de marche de chez eux pour trouver du travail, gagner de quoi reconstruire leurs maisons.” Impressionné, Eric Valli décide de consacrer une partie de son documentaire à leur histoire. “Je les ai suivis à cœur perdu. Capturant leurs peurs, leur fatigue, le froid glacial des cols enneigés.”
Shiva, 14 ans, n’avait jamais quitté son village. © Eric Valli.
Sur les chemins sinueux de ce film qui se construit pas à pas, le réalisateur français croisera un autre personnage: Chéwang Dorgé, un vieux sage solitaire et malicieux, qui achemine depuis qu’il est tout jeune de la marchandise d’un bout à l’autre de la vallée. “J’étais fasciné. Il avait plus de 70 ans et continuait de transporter jour après jour pas moins de 70 kilos sur son dos… à plus de 4.000 mètres d’altitude.”
Manon de Soos a suivi Eric Valli pendant son troisième voyage sur place – il en a fait plusieurs durant les deux ans de tournage. La photographe et assistante de réalisation se souvient: “C’était une expérience fascinante. Eric voulait rencontrer le plus de monde possible. Il a multiplié les contacts, les connexions, les interviews pour comprendre les conséquences de la catastrophe. Le film ne raconte qu’une infime partie de ce que nous avons vu là-bas.”
Raj et Shiva apprennent à charger les bêtes qu’ils dirigeront pendant plusieurs mois. © Eric Valli.
Alors, après des mois de travail et toutes ces rencontres, qu’a-t-il vraiment choisi de raconter? “Finalement, c’est l’histoire de la vie de deux gamins au cœur du drame, résume le documentariste. Et j’ai voulu y ajouter un peu de la philosophie incroyable de ce vieil homme.”
“Népal, par-delà les nuages”, qui sera bientôt diffusé en France, est sorti en salles au Népal cet automne. Les recettes seront reversées aux deux jeunes et à Rock’n Wood, une association française créée en 2016 dont la vocation est d’aider à la reconstruction en respectant les techniques architecturales traditionnelles.