L’émigration des femmes, un drame pour le Népal

Des étrangères, dont de nombreuses Népalaises, manifestent en mai 2011 à Beyrouth au Liban contre leurs conditions de travail, notamment comme domestiques. | AFP/ANWAR AMRO
Chaque jour, quelque 1 500 Népalais quittent leur pays, à partir de l’aéroport de Katmandou, pour aller travailler dans les pays du Golfe, en Malaisie ou en Corée du Sud. Une bombe à retardement pour ce pays de 27 millions d’habitants.
Derrière cette hémorragie se joue un autre drame : l’émigration des femmes. Un phénomène grandissant, ces cinq dernières années, mais invisible car illégal. Officiellement, les Népalaises de moins de 30 ans n’ont plus le droit d’émigrerdans les pays du Golfe. Une décision prise en août 2012 par les autorités de Katmandou à la suite d’affaires répétées de mauvais traitements (tortures, viols…).
Mais cet interdit — unique au monde — a eu un effet pervers : aggraverl’émigration illégale des femmes. Au lieu de quitter leur pays en avion et de façon déclarée, les jeunes Népalaises le font sans visa, en franchissant en train la frontière indienne, libre d’accès aux ressortissants népalais.
« Au nom de la protection des femmes, on viole leurs droits ! Au lieu d’interdireaux femmes d’aller travailler dans le Golfe, le gouvernement népalais ferait mieux de leur assurer une formation et une protection avant leur départ. Mais ici, nous sommes des citoyennes de seconde classe ! », s’indigne Manju Gurung, fondatrice et présidente de l’Association Pourakhi (« Compte sur toi-même ») d’aide aux migrantes, basée à Katmandou.
« TU APPRENDRAS SUR LE TAS »
Une fois arrivées à New Delhi, ces jeunes Népalaises restent pour la plupart enInde. Beaucoup basculent dans la prostitution. « On les utilise pour le “triangle de l’industrie du loisir”, c’est-à-dire Goa [ville touristique indienne], le Tibet et Katmandou », explique Meena Poudel, conseillère à l’Organisation internationale des migrations (OIM).
D’autres parviennent à s’acheter de faux papiers, avec lesquels elles s’envolent vers le Moyen-Orient. Là, elles sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont dans l’illégalité.
D’après l’ONU, les Népalaises seraient aujourd’hui au nombre de 244 000 dans les pays du Golfe, âgées de 18 à 25 ans. Mais seules, 56 000 seraient déclarées. Pourakhi abrite en ce moment trois femmes migrantes, de retour du Golfe, où elles étaient domestiques. Les violences qu’ont subies ces jeunes Népalaises sont telles qu’elles sont aujourd’hui mentalement malades et incapables de parler.« Là bas, elles étaient employées de maison. Mais ce sont des villageoises, illettrées, qui n’avaient jamais vu un aspirateur ni un micro-ondes de leur vie ! Elles ne savaient rien faire, malgré leur bonne volonté, et elles cassaient des choses. Pour les punir, leur employeur les battait, les brûlait, leur faisait subirtoutes sortes de tortures », raconte Manju Gurung.
Loin de les mettre en garde avant leur départ, les « brokers », ces agents de recrutements népalais qui pullulent à Katmandou, leur avaient dit : « Tu n’as pas besoin de formation. Vas y et tu apprendras sur le tas ! »
107 EUROS PAR MOIS
Parties sans papiers, lourdement endettées envers leurs agents qui font chèrement payer leurs services, ayant laissé derrière elles leurs enfants qu’elles ont confiés à leur mère ou belle-mère, les Népalaises se retrouvent dans les pays du Golfe tout en bas de l’échelle, face à la « concurrence ». Elles ne gagnent en effet que 150 dollars (107 euros) par mois en moyenne, contre 350 pour les Sri Lankaises, et 450 pour les Philippines, les mieux « cotées ».
L’Arabie Saoudite, selon l’association Pouroukh, détient la palme des mauvais traitements envers les migrantes, suivie du Koweit, puis du Liban. Quand leur histoire tourne mal, les Népalaises n’ont aucun recours, sinon s’adresser à leur ambassade ou leur consulat – débordés par les cas désespérés – ou aux ONG qui ont une antenne sur place. Encore faut-il que ces femmes en détresse soient au courant de l’existence des associations… « Le plus triste dans l’histoire, c’est qu’après être rentrées au Népal, elles veulent repartir, constate Bhrikuti Rai, jeunereporter au Nepali Times. Certaines ont été violées, d’autres sont rentrées avec un bébé, ce qui les exclut de leur communauté. Mais toutes ont l’impression qu’elles n’ont pas d’autre choix que d’émigrer à nouveau, si elles veulent pouvoirenvoyer leurs enfants à l’école et leur offrir une vie meilleure… »
Le Monde.fr | 19.03.2014 à 15h32 • Mis à jour le 20.03.2014 à 11h10 |Par Florence Beaugé (Katmandou, envoyée spéciale)

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