pendent la Dashain : en résidence familiale
● Aimeric Ferlay
J’ai quitté la vie froide, mais libre de l’hôtel pour une vie plus chaleureuse, mais sans réelle intimité qu’est la vie familiale ! Je vie en ce moment dans la famille d’Ishwori, avec sa femme, ses deux enfants (les 2 derniers) et sa mère de 86 ans. C’est la première fois depuis que je suis ici que je vis en permanence dans une famille et tout est différent, je vois réellement la vie côté népalais, avec ses bons… et ses mauvais côtés ! Du coup, tous les repas sont pris (plus ou moins en famille) et ça c’est vraiment cool. Je vis (encore une fois plus ou moins) au rythme népalais en me levant généralement avant 7h (je dis bien généralement !!!) et en me couchant en temps normal vers 9h (mais en ce moment c’est la fête, donc c’est plus vers 10h et on regarde une fameuse série népalaise à la télé (autant dire que je ne comprends rien pendant 1h, mais c’est marrant !)
En ce moment c’est les fêtes de Dashain, l’équivalent népalo-hindoue des fêtes de Noël, donc c’est environ l’un des moments les plus importants de l’année. La fête dure entre 5 et 10 jours (même en demandant plusieurs fois, j’ai toujours pas saisi, c’est vraiment pas clair !) et réuni la famille chez un membre de la famille (en général, les gens désertent Katmandou pour partir fêter Dashain dans leur famille). Il y a donc 4 habitants de plus dans la maison (le frangin d’Ishwori, sa femme et leurs 2 fils). L’autre frangin habite la maison juste à côté donc pas de problème. Pour les sœurs (il y en a 3), elles fêtent Dashain dans la famille de leur mari respectif. Elles sont venues dormir deux nuit dans la maison. Une expérience énorme que de vivre cette fête de l’intérieur et de se rendre compte de toute la complexité des us et coutumes de ce peuple et de cette religion. Parce que c’est pas tellement que les journées sont chargés de cérémonies,… (concrètement, à part bouffer, on fait pas grand-chose, mais bon c’est dans la lignée des énormes repas de Noël !), mais c’est surtout tous les détails qui structurent le déroulement de la fête. Enfin, je vais essayer de vous raconter un peu le déroulement (ce que je me rappelle et ce que j’ai compris !) :
Bon déjà, bien qu’étant une famille de Brahmane (la plus haute caste) et donc censé être végétarien, nombreux sont ceux (et notamment la famille) à avoir découvert le goût de la viande et a pas trouver ça dégueu !! Du coup, la veille de commencer les festivités, il a fallu partir à la recherche d’une chèvre à sacrifier (en France, c’est plus des dindes qui sont sacrifiées, même si certains (et certaines) privilégiés on la chance de manger du canard !!). Après avoir passé plusieurs heures dans les rues de la petite ville du coin à attendre désespérément un marchand de chèvre, voulant bien en céder une pour pas trop cher, nous nous sommes rabattus sur une chèvre provenant d’une petite ferme locale, pas mal du tout !! Après avoir fait la transaction financière (à peine 70 € pour une bête de 25kg), il a fallu la ramener à la maison. Et me voilà à l’arrière de la moto, tenant les pattes de l’animal dans chaque main, son corps posé sur les genoux, tout simplement énorme !!
Le lendemain, après une nuit de repos bien mérité, il a fallu sacrifier cette pauvre petite ! (on a commencé par la chèvre du frangin avant d’en venir à celle de la famille, j’ai vu 2 meurtres en tout ce jour là !) C’est un voisin qui est venu faire le travail ! La scène qui va suivre est interdite au moins de 18 ans et aussi (et surtout !) aux âmes sensibles et aux défenseurs de la condition animale ! Je pourrais facilement résumer ça en disant que c’est une mise à mort façon Louis XVI, mais je meurs d’envie de vous faire partager ce moment disons… rapide, mais intense ! (« Attention, c’est une vrai boucherie ! ») L’outil usité est un énorme couteau utilisé par les combattants népalais (les Gorkhas) dans des temps anciens et qui a fait leur réputation. Il y a au préalable une sorte de cérémonie où l’on arrose la chèvre, puis vient l’acte… net, précis et sans bavure, enfin voyez par vous-même : (j’ai fais cette vidéo en me disant que si c’était trop dégueu, je l’arrêterai, ben j’ai pas eu vraiment le temps… âme sensible s’abstenir !)
Après ça, le sang est récupéré pour être servi façon boudin pimenté, un peu après ! (Pas mal du tout d’ailleurs !) Puis commence une séance d’épilation complète (et j’vous assure que c’est pas que pour le maillot !!) ! Le corps (et la tête !) sont arrosés régulièrement d’eau bouillante, ce qui permet d’enlever les poils de l’animal facilement (tout est bon dans la chèvre, même la peau… ou pas !!!!) Puis lorsque le plus gros est enlevé, le travail est fini au rasoir !
Puis le corps de l’animal est recouvert d’un mélange d’eau, de curcuma et de cendre, mixture antibactérienne apparemment efficace et qui permet de consommer la peau ! En tout cas, ça donne un aspect plutôt joli !
Vient ensuite la séance découpage en petit morceau de l’intégralité de la bête. Les seuls déchets sont le bout des pattes (en gros à partir du genou), les cornes, les oreilles, les yeux, la vessie, quelques gros os et d’autres trucs ! Les intestins sont vidés et fris (ils seront servis en guise de repas aux travailleurs venant pour battre le riz, ça, ça craint un peu, mais bon apparemment « ils aiment ça ! ») Tous le reste est coupé un petit morceau, aussi bien les organes, que le gras, que les muscles, la cervelle, la peau et les os, puis sont cuisinés différemment ! Autant dire que quand j’ai vu ça, j’ai vraiment regretté de pas avoir dit que j’étais végétarien ! Surtout quand en plein milieu de la séance de découpage, on t’apporte un bol de « viande » contenant des morceaux de peaux, de tête (je préfère pas savoir d’où provenait les morceaux !) vraiment pas cool, surtout à 9h du mat’ !!
Le lendemain, en se baladant dans le village, dans presque toutes les maisons qu’on a croisé, il y avait une chèvre en train de se faire étriper, c’est vraiment le jour du grand massacre ! Dans la famille, il se fait la veille pour être tranquille ! Ainsi, cela va fournir de la viande pour toute la famille pendant 4 ou 5 jours (la viande est frie dans l’huile, ce qui permet de la conserver, car pas de frigo). Du coup, à chaque repas, la principale question qui me traversait l‘esprit était : « hummmm, quelle partie on va manger aujourd’hui, morceaux de reins ? de cerveau ? mélange peau/gras/muscle ? » franchement pas simple, d’ailleurs je laissais beaucoup de déchets… pas cool, mais c’est vraiment trop dégueu ! Heureusement, le reste de l’année ils mangent pas trop de viande, surtout que la grand-mère est végétarienne (religion oblige !).
Le principal jour de la fête, appelé le jour de la Tika, est le jour où toute la famille (du moins les familles des frères de la famille) est réunie pour la cérémonie de la Tika et ensuite pour manger ensemble. Cette cérémonie correspond en gros aux traditionnels cadeaux de Noël de la société occidentale (mais en beaucoup plus « cérémonial »). En effet, chaque membre de la famille se voit remettre par les plus anciens, la Tika (mélange d’eau, de riz et d’une poudre rouge que l’on met sur le front, ce jour là, sur l’intégralité du front !) symbole de chance, de santé,… Au départ, la plus ancienne (la grand-mère), la remet au plus ancien de ses fils. Ensuite, celui-ci peut également la remettre aux personnes qui sont plus jeunes que lui, etc… Ainsi, le plus petit de la famille se voit remettre la Tika par toute la famille (et là, c’est légèrement le b****** !) Pour mettre la Tika, la grand-mère dépose d’abord une substance orange, à base de curcuma, qui permettra de coller ! Ensuite elle dépose sur le front le mélange eau/riz/poudre rouge, en prononçant des paroles souhaitant le meilleur pour l’avenir (en gros !) Ensuite elle reçoit un cadeau en remerciement et celui qui vient de recevoir la Tika doit se « prosterner » en touchant les pieds de la personne qui lui a donné la Tika avec sa tête (c’est assez sportif). Elle se voit recevoir un cadeau de la part des membres de la famille. Quand vient le tour des oncles et tantes (les enfants de la grand-mère et ses belles-filles), il y a distribution d’argent ! De même pour les enfants, ils reçoivent un ou plusieurs billets lors de la cérémonie ! Ainsi, chaque membre de la famille, s’assoit devant ses aînés pour recevoir sa Tika.
Lorsque tout le monde l’a reçu, le repas peut commencer ! J’ai eu droit moi aussi à ma Tika et à mon (ma) tupi (le chapeau traditionnel que porte les hommes) perso ! La classe ! Et j’ai également partagé le repas avec toute la famille, comme tous les autres repas d’ailleurs (imaginez si un étranger venait fêter Noël dans votre famille) Comme pour Noël en Occident, la fête est une ruine pour la famille, qui n’a déjà pas beaucoup d’argent. Ishwori m’a confié que ça lui coutait environ 30 000 roupies pour cette fête, argent qu’il doit distribuer à ses enfants, ses gendres, à ses neveux et nièces,… sachant qu’il n’a pas de revenu en ce moment, c’est pas simple, mais encore une fois, impossible de faire selon ses propres moyens, il faut suivre les règles !
Sinon, la vie suit son cours au sein de la famille, aide à la préparation des repas (seulement couper les légumes, car un étranger ne peut pas cuisiner un plat qui sera servi à la grand-mère, celle-ci nous considérant comme impurs, elle n’accepterait pas de manger un plat cuisiné de nos mains « sales » !! On ne peut pas non plus servir le repas pour la même raison ! Principales raisons : on est pas hindoue, on mange de la vache, on s’essuie avec un papier après popo et non pas avec la main), activité qui prend quand même beaucoup de temps, surtout en ce moment, qu’il y a beaucoup de monde à la maison ! Mais aussi jeux de cartes, traite de la vache (bon ça j’ai essayé environ 10 secondes et je suis vraiment mauvais !), ramassage des haricots (qui sont en hauteur), boire du thé, manger, manger,… manger, un petit coup de tourista pour la route (juste pour la forme et pour que j’oublie pas ce que ça fait !), discuter des traditions religieuses et des coutumes népalaises en générale, re manger, prendre des photos des enfants, dormir,…
Lors de la prise des repas, la femme ne mange pas en même temps que tout le monde ! Elle a préparé le repas, elle sert tout le monde, elle débarrasse la table et fait toute la vaisselle, mais… elle doit attendre que tout le monde est fini de manger pour pouvoir manger, toute seule… parfois là où tout le monde à manger, parfois dans la cuisine et mange le reste des plats, bien souvent froids,… Voilà l’un des côtés un peu bizarre de la découverte de la vie familiale !
De temps en temps quelques petits tours en moto, pour aller faire des provisions ou autre (la femme ne sort presque pas de la maison, c’est le mari qui fait les courses !)
Et je suis dans une famille où le mari (Ishwori) est très ouvert d’esprit (mais la présence de la grand-mère qui, elle, est très conservatrice n’aide pas !), je vous laisse imaginer la situation dans un contexte plus conservateur !
Pour dormir, il n’y a pas vraiment de lit attitré à chaque membre de la famille (à part celui de la grand-mère). Les népalais dorment rarement tout seul, ça c’est culturel ! Dans la famille, le mari et la femme ne dorme jamais ensemble, mais, généralement le père dort avec son fils (à la demande de celui-ci). Lorsqu’il y a d’autres membres de la famille qui dorment dans la maison, ça se mélange ! Les frères peuvent dormir ensemble, les enfants peuvent dormir ensemble, et très souvent chacun dort dans un lit différent d’une nuit sur l’autre, c’est selon la situation le soir même ! Ainsi, les filles ne dorment pas avec leur mari (on ne sait jamais…). Heureusement, pauvres occidentaux que nous sommes avons droit à un lit seul (je me vois pas trop dormir à côté de la grand-mère, ça serait un mauvais tirage !)
En tout cas, ça me permet de passer de bons moments et de découvrir la vie népalaise de l’intérieur.